"Les remord qu’il avait emportés avec lui après leur séparation – son besoin perpétuel de changement et sa rationalité maladive qui, à son retour du Canada, l’avait précipité dans les bras d’une autre femme qui ne lui plaisait même pas – lui paraissaient désormais insignifiants en comparaison au bonheur sincère qu’il éprouvait soudain. Il avait envie de se lever et crier : « Regardez comme je suis amoureux ! Cette femme m’appartient, et je lui appartiens aussi ! » "
Après une attente qui lui parut éternelle, elle se fit servir un filet de veau pané dont les contours lui rappelèrent la carte de l’Autriche – ou de la Slovénie, elle ne savait pas trop. L’Europe, et en particulier la France, lui manquait cruellement ce soir-là. Pour des raisons qui lui échappaient, elle regrettait de ne pas être assise en terrasse d’un bistrot parisien, un verre de Château Margaux à la main, ou en train de se promener dans les ruelles sinueuses d’un village provençal, les yeux perdus dans la complexité de son architecture médiévale. Une fois de plus, elle ferma les yeux et tenta de se glisser dans la peau d’une touriste européenne, dans l’espoir de ressentir à nouveau cet émerveillement naïf et sincère qui auréole la moindre sensation, la moindre découverte – ce même émerveillement qu’elle avait ressenti dans les premiers mois après son arrivée au Canada et qui s’était dissipé comme les brumes du Saint-Laurent un soir d’automne, dépossédant ainsi la vie quotidienne de tous ses petits charmes trompeurs.
« Il ne me reste plus beaucoup de place, il est temps de conclure. J’espère que tu vas très mal sans moi, que tu t’ennuies et que je te manque énormément, au moins autant que tu me manques. Ne m’écris pas, sauf si c’est pour me dire qu’on se reverra un jour.
Je t’embrasse tendrement,
Anna »
Extrait de: Mathias Chevalier. « Polaroïds. » iBooks.