Cette variété du lexique des auteurs grecs et latins contraste avec le caractère imprécis du terme moderne de "défaite". Par conséquent, on ne peut réduire le concept antique de défaite uniquement au lexique de "clades" en latin et de "êssa" en grec, eu égard à la grande diversité lexicale utilisée dans les récits historiques pour exprimer le revers militaire dans tous ses aspects et sa complexité. Dans beaucoup de situations, ce lexique désigne tout autant l'événement militaire que sa perception par les historiens antiques. Cette réalité implique une déformation, et rend nécessaire une étude comparative entre la manière dont les auteurs désignent la défaite des Romains, et celle dont ils perçoivent les revers militaires de leurs ennemis.
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Notre démarche n'envisage pas l'a priori que les Romains aient été les seuls à savoir tirer profit de leurs échecs et que cette faculté inédite explique leur supériorité diplomatique et militaire. Il est nécessaire de resituer les Romains dans leur contexte italien et méditerranéen des époques archaïque et classique et de se défaire de la fascination polybienne envers l'ascension de Rome, qui a longtemps prévalu dans l'historiographie moderne de la conquête. L'enjeu fondamental de cette étude est d'élucider comment, et surtout pourquoi, les érudits romains ont intégré quelques défaites à l'histoire archaïque de la cité, d'autant que certains de ces événements semblent fictifs.
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Les précédentes études ont sélectionné les défaites à partir des critères de la science militaire de l'époque moderne, qui codifie la guerre et érige la bataille rangée comme une référence et comme une règle, alors que les auteurs antiques accordent une importance toute particulière aux opérations militaires dans leur diversité. Notre étude vise donc à définir et à conceptualiser la défaite antique, dont les critères divergent de notre approche contemporaine, à travers une étude lexicale et conceptuelle.
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Notre étude se distingue de celles de N.S. Rozenstein, de Fr. Cavagnionni et de J.H. Clark par l'amplitude de la chronologie adoptée, et veut analyser dans le temps long les effets des défaites romaines sur l'histoire de la cité. Elle tient à privilégier une période moins étudiée, celle des premiers siècles de Rome (de la fondation jusqu'à la guerre de Pyrrhus), durant la quelle la communauté vit sous la menace permanente de sa propre disparition eu égard aux guerres, aux famines, et aux épidémies.
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