Il y a 5 ans, le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris prenait feu. La sidération et l'émotion dépassent alors les frontières : cet incendie est un événement mondial. Comment comprendre cette émotion partagée et l'universalité de ce trésor du patrimoine français ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
Nathalie Heinich, sociologue et directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique)
Mathieu Lours, historien de l'architecture et spécialiste des cathédrales et du patrimoine religieux
Visuel de la vignette : Fabien Barreau / AFP
#patrimoine #notredame #culture
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La cathédrale devient un relais du pouvoir royal en contexte colonial.
(…) Dépourvu de religion nationale bien que reconnaissant officiellement l’idée de Dieu, le nouvel État (les États-Unis) fait de l’architecture néoclassique issue des Lumières son écriture stylistique, celle qui sacralisation ses bâtiments officiels pendant XIXe et XXe siècles. Ses temples nationaux sont le Capitole, le Mausolée de Lincoln, autant d’ouvrages où sont repris des éléments issus de l’architecture religieuse comme le portique, la colonnade et le dôme.
À Buenos Aires par exemple, la cathédrale, consacrée en 1791, doit recevoir une nouvelle façade. En 1822, comme pour plusieurs cathédrales d'Amérique du Nord, on fait appel à deux architectes français, Prosper Catelin et Pierre Benoît. Ils plaquent sur l'édifice une façade à portique et fronton, dotée de douze colonnes, qui reprend presque trait pour trait la façade nord du Palais-Bourbon à Paris, réalisée en 1806 suivant le projet de Bernard Poyet. Ce transfert étonnant du civique au religieux peut étonner mais la forme républicaine du nouvel État argentin a créé un horizon d'attente réel. De plus, l'édifice avait acquis un statut particulier aux yeux du gouverneur de Buenos Aires, Martin Rodriguez, qui voyait en elle un monument national. Les sculptures du fronton de cette façade sont encore plus éloquentes : le relief est l'œuvre d'un Français, Joseph Dubourdieu, qui sculpte en 1863 la rencontre de Jacob et de Joseph en Égypte; ce sujet biblique est une allusion à la réconciliation des Argentins en 1861, après la bataille de Pavón, la conclusion de la guerre civile et le retour à un État unitaire. Le rôle de la cathédrale est ici à la fois civique et religieux et la forme de sa façade annonce sans ambiguïté cette ambition
En dehors de l'Empire, dans les terres contrôlées par les chevaliers teutoniques et dans la future Prusse orientale, les cathédrales de Königsberg ou de Riga connaissent une destinée semblable. Au total, une vingtaine de cathédrales, soit treize dans le Saint-Empire romain germanique et les autres dans les territoires germanisés de Prusse et de Livonie, deviennent ainsi les grands temples de cités disposant d'une large autonomie. Ce destin commun des cathédrales dans les espaces du Saint-Empire passés à la Réforme luthérienne tout comme l'adoption de la langue allemande pour le culte contribuent à ancrer ces territoires dans une démarche de type proto-national, même si la fracture religieuse, au-delà de la communauté linguistique, interdit l'aboutissement du processus.
Notre-Dame devient, pour la première fois de son histoire, la tête d'un réseau célébrant le lien entre la monarchie française et la Vierge, une nouvelle forme de sanctuaire national d'essence politique.
À Lausanne, des événements politiques rendent plus complexe l'appropriation de la cathédrale par le nouveau culte qui s'opère en 1536. Comme à Genève, elle commence par un pillage de l'édifice. Mais celui-ci est l'œuvre de l'armée du canton de Berne qui, acquis à la Réforme prêchée par Pierre Viret, a envahi Lausanne. L'épuration de la cathédrale profite donc aux envahisseurs qui emportent dans leur cité, en 1537, les pièces d'orfèvrerie destinées à la fonte. Cette Réforme imposée de l'extérieur par une défaite militaire s'enracine toutefois et l'édifice obtient le rôle de grand temple pour la cité
Le basculement vers une idealisation de la cathédrale médiévale intervient au moment de l’affirmation culturelle des nations pendant lequel s’élaborent aussi les notions de monument historique et de monument national.
Notre-Dame de Paris incarne, pour Napoléon, la cathédrale par excellence, celle où il souhaite déployer la triple nature de son pouvoir : national, monarchique et catholique.
C'est à l'époque contemporaine que la cathédrale est devenue une icône complexe, à la fois cultuelle et culturelle, superposant religion et histoire.
Les cathédrales deviennent un lieu de glorification non pas seulement de la nature sacrée du pouvoir du roi mais aussi de l'exercice de ce pouvoir.