— Tu la connais, cette femme ?
— Non, je l’ai jamais vue avant maintenant. Pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce qu’elle a fait sur toi une forte impression.
— Tu m’accorderas qu’elle est très belle.
— Oui, elle est belle. Elle est plus belle que moi. C’est facile à voir.
Jamais aucun de nos cerfs-volants n’avait volé si haut. Ni si loin. Nous l’apercevions encore à l’horizon, mais noyé dans la lumière du jour. Il tirait très fort sur sa ficelle, réclamant toujours plus de mou. Et c’était comme s’il tentait de nous dire qu’il n’avait plus besoin de nous, qu’il n’avait plus le goût de revenir sur terre, ni de frôler les arbres et l’herbe des champs. Mon père et
moi nous regardions en souriant. Nous comprenions fort bien ce que le cerf-volant géant tentait de nous dire. Mais nous avons continué à le retenir, nous relayant à la longue ficelle qui nous sciait les doigts et qui épuisait lentement mes forces d’enfant.
Les morts ne survivent que dans la mémoire de leurs proches et celle de ceux qui les ont accompagnés jusque sur cette colline. Après, ils passent au grand anonymat et retournent non pas à la terre, où il sont déjà, mais plutôt à la planète elle-même, dont ils n'auront été qu'une brève et insignifiante perturbation.