- Sais-tu ce qu’il m’a dit un jour ? Il m’a dit que personne ne pouvait être heureux, car dans ce putain de monde tout est une histoire de rivalité. Le moindre brin d’herbe rivalise avec celui d’à-côté, chaque coyote essaye d’avaler plus de viande que celui d’à-côté, chaque vautour espère trouver plus de charogne, chaque rivière essaye d’arriver la première à l’océan, et chaque saloperie de cactus se débat pour plonger ses racines le plus profondément possible dans le désert.
- Un cow-boy philosophe, dit-elle sans le moindre sarcasme.
La vie sociale n’est pas très développée, dans notre région. C’était une des raisons pour lesquelles, en un seul week-end, on buvait suffisamment de whisky, on jouait suffisamment aux cartes et on draguait suffisamment de filles pour tenir six mois ensuite.
- Allons marcher au bord de la rivière.
Je lui pris la main et, côte à côte, on contempla la surface de l’eau. Un coyote aboya.
- Écoute, dis-je. J’adore les entendre hurler.
- Tu savais que pour les Navajos le coyote sera la dernière créature vivante sur terre ?
Je réfléchis.
- Ils ont peut-être raison.
- La vieille Meesa dit que les amants morts reviennent sous la forme de coyotes, et ils pleurent un amour qu’ils n’ont jamais trouvé.
C’était une région solitaire, et ceux qui y vivaient se rendaient dans la ville moribonde de Hi Lo pour voir quelqu’un, parler vaches et chevaux, se saouler, jouer et aller aux putes. Hi Lo était le cœur des prairies infinies et des gorges sauvages. Mais la terre l’avait frappée de sa malédiction elle aussi. Pendant plus de trois cents jours par an, le vent la transperçait de part en part…
Je ne pouvais pas attendre plus longtemps. Il fallait que je sache. La jalousie me dévorait comme un chien affamé qui lacère à coups de dents le ventre d’un lapin qu’on vient de tuer.
Espérais-je que quelqu’un se chargerait du meurtre à ma place ? Au nom de quel enfer un homme pouvait-il aimer un autre homme, presque d’un véritable amour, et néanmoins souhaiter sa mort ? Tout ça à cause d’une femme qu’il connaissait à peine… quasiment pas ? Une chose était absolument certaine, en tout cas : Mona exerçait sur moi une emprise supérieure à l’amitié que j’éprouvais pour mon meilleur ami.