[Hergé] n'a pas de sang sur les mains, certes. Mais ce qui a aggravé son cas au fil du temps et qui a, selon moi, rendu la polémique inévitable, et cela sans que ce soit de sa faute, c'est l'attitude de ses thuriféraires, qui passent leur temps à agrandir et nettoyer son monument. [...] Ce sont eux qui se couvrent de ridicule, mais qui en même temps obligent les dissidents à monter au créneau et à participer eux aussi, même d'une manière négative, à l'entretien du mythe.
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[Les thuriféraires pourraient] comprendre, à leur tour, qu'ils s'arrangent pour ne pas savoir que leur idole, dessinateur d'extrême-droite, a, à son médiocre niveau, participé à une entreprise de lavage de cerveau qui visait à faire accepter par la population belge l'extermination des Juifs vivant en Belgique.
La plupart des journalistes, ces soutiens au quotidien de l'idéologie dominante du monde occidental, ont trouvé en [Tintin] leur "mythe de remplacement". Ce n'est qu'un exemple. Oui, Hergé et son oeuvre sont bien des icônes dominantes. Parce qu'elles sont les icônes de la classe dominante.
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Mais il est bon, parfois, de partir d'oeuvres universelles parfaitement intégrées, si l'on veut transmettre un discours critique, peu audible aujourd'hui, parce que constamment brouillé, sur la réalité de l'Occident.
Toute tentative pour en finir avec Hergé serait donc vouée à l'échec. Le monde hergéen, à la fois trop puissant et trop souple, s'adapterait à tout et à tous, marchant de pair avec les transformations de l'idéologie dominante. Ce n'est pas inexact, il faut le reconnaître. Telle est la force des mythes et particulièrement celui-là. Les croyances échappent à la raison cartésienne et à la raison dialectique.