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Citation de mimo26


Prologue

Filant en pleine nuit, la camionnette ressemblait à un minuscule vaisseau
perdu dans l’immensité du cosmos. Entourée d’obscurité, elle flottait dans le
néant, guidée par ses phares blancs, comme propulsée par les lueurs rouges à l’arrière. La Ford se mit à tourner pour suivre la route à flanc de colline. Elle était seule sur des kilomètres à la ronde.

À l’intérieur, Duane Morris se concentrait pour ne pas perdre de vue le
ruban d’asphalte étroit qui défilait face à lui. Il était hors de question de
ralentir. Il devait maintenir une allure suffisante pour rester le moins de temps possible dans le secteur.

Le silence régnait dans l’habitacle feutré et cela lui plaisait. Pas de distraction avec la musique ou la radio, rien que lui et ses pensées, tout entier concentré sur un seul objectif : ne pas commettre d’erreur. Il fallait
reconnaître que dans son domaine Duane Morris n’était pas un amateur. Il
s’enorgueillissait même d’être l’un des meilleurs. Officiellement, sa plaque
indiquait qu’il exerçait la profession de détective privé, mais la plupart de ses clients savaient que ça n’était pas tout à fait exact. Le bouche à oreille
demeurait sa meilleure publicité, ça et son obsession du détail qui le rendait si doué au point que les deux tiers de sa clientèle, toujours satisfaits, étaient constitués du même pool d’entreprises fidèles à ses services. Duane n’avait pas besoin de faire de prospection, l’argent venait frapper à sa porte avec la régularité d’une marée.

Ses yeux descendirent un bref instant sur le compteur. Quatre-vingts
kilomètres-heure. Parfait. Il serait bientôt de retour sur la route principale et
de là sur l’autoroute en quelques minutes. Ensuite il serait invisible, le temps
de rejoindre Boston et le soleil se lèverait, il serait distillé dans le trafic et
l’anonymat du flux. De toute façon, Duane ne laissait rien au hasard. Jamais.
Même si une caméra de surveillance l’attrapait quelque part sur le chemin, la camionnette était intraçable. Fausses vraies plaques « empruntées » à un
véhicule du même type, elles feraient illusion en cas de contrôle rapide.
Autocollants leurres posés la veille sur la carrosserie pour la maquiller, ils
finiraient brûlés le soir même dans le poêle du garage, après que Duane aurait démonté les pneus pour en mettre d’autres modèles usés, mais au marquage totalement différent. Même si on analysait d’éventuelles empreintes de roues dans la terre, personne ne pourrait prouver que c’étaient les siennes après ça.
Duane raserait sa barbe dès son arrivée au garage, et il couperait ses cheveux pour changer d’apparence bien qu’il soit persuadé que la casquette qu’il arborait suffirait à masquer ses traits, surtout pour une caméra à la définition médiocre.
Une fois encore, il avait tout prévu. Il était impossible de remonter
jusqu’à lui.
De toute façon, se donnerait-on autant de mal pour ce qu’il venait de
faire ? Il n’était même pas certain que c’était véritablement illégal. Bon, en y
réfléchissant un peu, ça devait forcément l’être, mais pas au point de risquer
de la prison. Et puis cette fois-ci ses employeurs – première collaboration, ils
avaient obtenu son numéro par le biais de leur nouveau chef de la sécurité
avec lequel Duane avait travaillé par le passé – l’avaient grassement
rémunéré, et personne ne payait autant pour quelque chose d’aussi simple si c’était une procédure autorisée. Non, bien sûr que non. Sinon ils auraient
envoyé directement leurs propres gars sur place pour faire le boulot et pas
Duane Morris, en pleine nuit, avec la simple consigne « Personne ne doit
savoir ».
Duane avait dû suivre une formation éclair pour bien comprendre
comment opérer. Ça ne lui était jamais arrivé auparavant et cela l’avait
beaucoup amusé, même si en soi ce qu’il devait apprendre était ennuyeux. Il
avait procédé comme à son habitude : avec application, pour ne surtout pas
prendre le risque de rater son coup le jour J. Mais tout s’était déroulé à
merveille. C’était un jeu d’enfant. Ses employeurs seraient satisfaits. Une fois
de plus, Duane Morris avait exécuté sa mission à la perfection.
Pour se féliciter, Duane décida qu’il appellerait Cameron une fois tout son
travail de nettoyage effectué. Il avait mérité un peu de bon temps. Il se doutait que Cameron n’était pas son vrai nom, les escorts utilisaient des
pseudonymes la plupart du temps, mais il s’en moquait. N’en faisait-il pas
autant lui-même ? Tout ce qui comptait se résumait aux heures passées avec Cameron, et elles valaient le moindre dollar dépensé. Non seulement
Cameron avait une vraie petite gueule d’ange, mais son corps était de la
trempe de celui de ces statues grecques sculptées pour inspirer l’idée de
perfection. Duane ne put s’empêcher d’accompagner ces pensées d’un large
sourire. Cameron était son point faible, il le savait. Mais il restait un homme
et pas une machine, au moins dans sa vie privée.
Un virage prononcé rappela Duane à la réalité et il freina brusquement
pour ne pas sortir de la route, avant d’enfoncer à nouveau l’accélérateur, une
fois dégagé de la courbe. Maudite voie sinueuse. Dehors il n’y avait que le
noir, partout. Impossible de distinguer la moindre source de vie, ni le relief
pourtant imposant qui l’entourait. Pas une parcelle de lune ou d’étoile ne
filtrait à travers la couverture de nuages invisibles. C’était aussi surprenant
qu’effrayant.
Quelque chose attira brusquement l’attention de Duane dans le rétroviseur
intérieur. Il ne vit pourtant rien une fois les yeux levés dans sa direction.
Qu’avait-il cru percevoir ? Un mouvement derrière sa camionnette ? Le
suivait-on ? Non, c’était impossible, il l’aurait repéré depuis longtemps, et
puis rouler sans aucun phare, si rapidement, sur une route dangereuse, ce
n’était pas possible. À moins d’être équipé de lunettes de vision nocturne.
Un filet de sueur froide longea alors sa colonne vertébrale.
Seuls les types du FBI utilisaient ce matériel pour une filature discrète.
Avait-il les fédéraux sur le dos ? Pas pour une mission aussi futile, non,
c’était idiot…
Duane eut soudain la bouche sèche. Non que cette bêtise le préoccupât,
mais par le passé il avait opéré sur des affaires autrement plus importantes et hautement sensibles. Du genre à compter les années de prison par dizaines s’il se faisait pincer.
À présent il ne tenait plus en place. Ses pupilles passaient de l’asphalte
craquelé devant lui aux rétroviseurs pour s’assurer qu’il n’y avait pas un autre véhicule dans son sillage. Rien. Seulement le vide obscur à trois cent soixante degrés.
Duane donna un coup de frein pour éclairer davantage l’arrière de la
route. Personne, cette fois il en était certain.
Il avait rêvé. Son coeur commença à reprendre un rythme normal.
Puis il sentit de nouveau un mouvement dans le rétroviseur central. Et il
comprit. Tout son corps se tendit sur son siège.
C’était à l’intérieur ! Quelqu’un derrière lui sur la banquette ou dans
l’espace qui servait de coffre.
Duane se mit à réfléchir à toute vitesse. Qui pouvait être caché là ? Et
pourquoi ? Il ouvrit la bouche pour mieux respirer et après s’être assuré que la route était droite, il se pencha vers la boîte à gants pour y saisir son Glock 9 mm.
Il allait le lever pour allumer le plafonnier avec le canon, histoire de
montrer à son passager clandestin que la plaisanterie était terminée, lorsqu’il
se retint. L’autre pouvait se jeter sur lui et leur faire faire une embardée
tragique. Non, mauvaise idée. Mieux valait s’arrêter. Duane allait sortir pour
ouvrir la porte latérale, là il serait maître de la situation. Oui, c’était plus
malin.
Il regardait devant pour voir où stationner lorsqu’il capta un autre
mouvement dans le rétroviseur. Ses yeux remontèrent d’un coup et il la vit.
Une femme. En tout cas, elle avait des cheveux longs et gras en pagaille,
dissimulant une partie de son visage. Et dans la pénombre de l’habitacle, elle lui parut très pâle. Elle se tenait tout au fond du véhicule.
Qu’est-ce qu’elle foutait là ?
Duane lâcha l’accélérateur et serra la crosse de son arme.
Nouveau mouvement. Duane regarda le rétroviseur et, cette fois, elle était
assise sur la banquette juste derrière lui. Comment avait-elle fait pour aller si vite ?
Son coeur s’emballa et il ne put plus se contenir. Il leva son Glock pour
qu’elle ne puisse pas le manquer :
– Ok, la promenade est terminée ! Tu ne bouges plus !
Duane avait le souffle court, la voix moins menaçante qu’il ne l’aurait
voulu. Son propre corps était en panique.
– On va s’arrêter pour s’expliquer, toi et moi. Si tu approches, je te tire une balle dans le buffet, c’est clair ?
Duane vérifia dans le petit miroir si elle obéissait.
Il vit la femme écarter une longue mèche torsadée et, lorsqu’il aperçut sa
bouche tordue et ses dents grises, la peur l’inonda jusqu’au bout des doigts.
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