Merle Miller

Quand je repense maintenant à la conversation de cette soirée, il me semble que c'est encore Ray qui résuma le mieux la situation par sa simple phrase :
- ... J'ai pensé que peut-être la fin du monde était venue, et que c'était nous qui l'avions provoquée...
Un monde effectivement a ce jour-là trouvé sa fin, bien que nous n'en portions nullement la responsabilité. Nous avons agi conformément aux ordres reçus, nous avons simplement fait notre devoir.
[.]
Je sais aussi que je suis d'accord avec le savant qui, là-bas, à Tinian, lorsque la question lui fut posée de définir son sentiment sur la part qu'il avait prise à la création de la bombe, répondit simplement :
- Je ne me sens pas très fier de moi maintenant...
Mon non plus, je ne me sens pas très fier de moi...
Les raids d'Hiroshima et de Nagasaki ne sont pas de ces missions dont un homme puisse concevoir la moindre fierté. Ce sont des faits de guerre dont il faut conserver la mémoire, mais ne jamais recommencer nulle part dans le monde.

J'arrache mes lunettes et me précipite vers la fenêtre du navigateur. A cet instant, lors de mon premier coup d’œil sur l'extérieur, les yeux encore clignotants de l'intensité de l'aveuglante lueur pourpre qui enveloppait la terre dessous et le ciel dessus, j'ai l'impression, l'impression tragique, d'une effroyable hallucination. il me semble m'être violemment heurté la tête contre la paroi de la cabine et voir, passagèrement peut-être, quelque chose qui n'existe pas, qui ne peut pas exister.