Alors il plongea, puis une fois complètement immergé, il ouvrit les yeux pour contempler ainsi la lumière qui se réverbérait à la surface. Ce que je fis : depuis le ventre du fleuve, je contemplais les éclats du soleil. Et ce scintillement m'éblouit dans un aveuglement enveloppant et doux. Si l'étreinte d'une mère existait, elle devait s'apparenter à cette perte de sens.
- ça t'a plu ?
- si ça m'a plu ? C'est si beau, Ntunzi, on croirait des étoiles liquides, si joliment diurnes !
- tu vois, petit frère ? C'est celui-là l'autre côté. [...].
- Est-ce qu'il n'y a pas quelqu'un qui nous guette de l'autre côté ?
- Oui, on nous guette. Ce sont ceux qui viendront nous pêcher.
- Tu as dit "chercher" ?
- Pêcher.
Je tremblai. L'idée de poissonner, captifs des eaux, me conduisit à la terrible conclusion : les autres, ceux du côté du Soleil, étaient les vivants, les seules créatures humaines.
- Frérot, c'est vraiment vrai que nous sommes morts ?
- Seuls les vivants peuvent le savoir, frérot. Eux seuls. [...].
Je ne cessais de revenir à la courbe du fleuve et me laissais enfoncer dans les eaux dormantes. Et je restais des temps infinis, les yeux éblouis à visiter l'autre côté du monde. Mon père ne l'a jamais su mais c'est là plus que nulle part ailleurs, que j'ai perfectionné mon art d'accorder les silences.