Nicolas Skinner

Soudain, Shaäl comprit. Les maux de ventre intolérables. Les convulsions. La respiration difficile. C’était évident maintenant : ces symptômes s’apparentaient à ceux d’une intoxication au laurier-rose, celui-là même que Prodis avait trouvé dans la forêt austriemienne, quelques mois auparavant. Son affliction n’avait rien à voir avec la blessure à la joue lors de l’attaque des Coquillards, comme il l’avait un moment imaginé.
Mais un empoisonnement au laurier-rose se révélait beaucoup plus rapide… À moins que… Oui, à moins, peut-être, d’en ingérer en petites quantités, qu’on augmenterait progressivement. Mais bien sûr ! L’infusion quotidienne que lui préparait Jéduh… Cela concordait ! Il se sentait stupide de ne pas avoir compris cela plus tôt. Sans doute que son inconscient avait écarté une hypothèse aussi hasardeuse qu’impensable. Une question subsistait : pourquoi ?
Puisant dans le peu d’énergie qui lui restait, Shaäl tenta de parler une dernière fois pour dénoncer son probable assassin. Malheureusement, il ne parvint qu’à émettre un râle incompréhensible. Cet ultime effort mit fin à ses jours.

"La neige noire agissait également sur son esprit, de toute évidence, car il jugea cette folle idée pourtant plausible. Evidente, même.
Asphodel fit volte-face vers la bête.
Il eut juste le temps de l'apercevoir dans les airs, en train d'effectuer un saut prodigieux dans sa direction. Mais plus que la perfection du mouvement, ce fut le visage du monstre qui le médusa.
Il s'agissait du sien."

En diplomatie, l'ultimatum est la dernière exigence avant les concessions...

Personne n'est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Perçant la voûte étoilée, les cornes d’un croissant de lune éclairaient faiblement la piste terreuse qu’il suivait. Autour de lui, un vent doux ballottait lentement les châtaigniers et les merisiers, qui exhalaient des senteurs poivrées. Émergeant de leur repos diurne, les hiboux et les chouettes rythmaient le fredonnement des criquets de leurs hululements apaisants.
"C’est une belle nuit pour mourir."

Accoudé au bastingage du Marwen, Hélonas balayait les flots
sombres de son regard méfiant. Le faible bruit du remous sur la poupe
berçait ses pensées vagabondes, tandis qu’une fraîche brise diffusait
l’air du large sur son visage taciturne. Devant lui, l’immensité liquide
scintillait, tel un miroir obscur reflétant la demi-lune et les étoiles
qui perçaient la voûte céleste. La ligne de séparation entre eau et
ciel se dessinait, nette, comme si les deux entités s’accordaient une
trêve passagère.
- En dessous, la mer est noire. Au-dessus, le ciel est noir. On n’est
bien que sur terre, songea Hélonas.

Maintenant, Dracean pouvait deviner l’équipage, composé d’une
centaine d’individus au bas mot. Tel un régiment de fourmis dans
leur acacia colonisé, tous s’activaient là-dedans. Visiblement, chacun
d’entre eux était chargé d’une tâche bien précise.
Portée par des cordages, une barque descendit le long du bateau
jusqu’à toucher les flots. L’enfant parvint à dénombrer une dizaine
d’hommes à son bord. L’un d’entre eux commença à ramer. La petite
embarcation se mit en mouvement vers la rive.
Vers Dracean.

« Elle est belle, hein, Elma,
ne trouves-tu pas ? ». Pour toute réponse, Cador émit un énième
râle de douleur. « Vraiment très belle », se confirma Grimür à lui-même,
tout en regardant le ciel, l’air presque rêveur. Puis il se tourna
vers Cador et lui asséna : « Mais c’est une beauté que tu ne pourras
plus jamais apprécier. » De sa main libre, Grimür empoigna ses
cheveux, lui creva un œil, puis le second.

Le vaisseau filait dans le vide, fuyant un monde nocif.