Extrait
1.
dit renonce
et pourtant recommence
salue le matin salue le soir
dit rien n’eut
lieu ni mémoire rien
ne fut à marquer
d’un caillou roulé par les eaux
des heures semblables à
n’importe quelle heure
à peine eut le temps de
corner une page
CHORAL DES SEPTANTES, 6
J’ai mordu l’intérieur de ma joue, j’ai craché une étoile rouge sur la neige.
Signer, saigner, écrire, avec mon corps écrire, ne laisser que des pas dans la neige, des morceaux de moi, une dent gâtée, la chaleur d’une larme, l’urine noire, le sang perdu, le sang craché, n’écrire qu’avec mon corps mon nom dans la neige ou bien le semer à voix haute dans le vent qui geint, neige est mon nom, hurler neige est mon nom, Sirka, je m’appelle Sirka, ma mère, ma mère, ma défunte mère, toujours défuntes sont les mères, ma mère m’a donné ce nom Sirka et mon père a acquiescé en silence avant de partir vers le large, au nord du nord, sur un traîneau tiré par des chiens. Moi aussi je veux partir au nord du nord, je veux écrire vers le large, avec mon souffle devant moi, écrire vers les navires qui ont sombré en mer, signer, saigner, écrire avec le sang, cesser de fouiller dans les entrailles de la terre pour tracer au charbon les noms brûlés, j’aurai peut-être dix-sept ans quand nous atteindrons le bout du monde, car nous allons au bout du monde, n’est-ce pas ? Je m’appelle Sirka. Neige est mon nom et sous mon nom bat le sang. C’est ma signature.
je m'obstine à écrire
dans les marges écrire
je m'obstine
je m'entête
comme un commencement de phrase
pour tituber vers une autre
pour ne pas perdre
l'usage de langue
ni monter ni descendre
ni ramper ni soumettre
je pose une échelle dans la poussière
je saute entre les barreaux
entre canal et cimetière…
entre canal et cimetière
entre terre et ciel
j’ouvre les yeux
j’ouvre la bouche
entre les lèvres du temps
entre azur et flaque d’eau
une phrase
commence le jour
ouvre mes yeux
ouvre ma bouche
Une tête plus fine encore…
Une tête plus fine encore, enfance ou adolescence saurienne, se risque hors d’un autre trou. Alors le vieil idéogramme abandonne brutalement son immobilité de signe pour contraindre le jeune lézard à s’enfoncer dans le silence et les ténèbres des pierres. L’intrépide pourtant n’en fait qu’à sa guise et le voilà qui échappe à la vigilance de l’ancien, le voilà qui se joue de l’ombre et de la lumière, qui s’aventure entre les pots de fleurs, avant de disparaître. Deux vieux lézards renoncent à le suivre ; l’un s’abandonne à la chaude patience des pierres, l’autre se repose dans le soleil noir d’un point au bout d’une phrase, sous l’interrogation : quel insecte suis-je dans l’œil du lézard ?
CERTAINS MATINS LES MOTS…
23/04/2011
Certains matins les mots
se dispersent
s’in-disciplinent
vont vers une autre page
un autre livre
oublient
le premier poème
comme l’homme trop affairé
oublie sa douche
certains matins
la prose du jour happe
celui qui s’éveille
le prend aussitôt
dans l’étau de l’utile
certains matins
les paupières encore cousues
il faut laisser aux mots
la chance de se chercher
seuls
bagages d’exil
In memoriam Danielle Givry
extrait 2
Ceux qui attendent sur les quais
des gares ou des ports
ressemblent aux livres qu’ils tiennent
au bout de leurs bras ballants.
Leurs mains sont des pages tremblantes.
Leurs paupières sont lourdes
des lettres qui vacillent au fond des yeux.
Une femme serre contre son ventre
l’édredon des enfantements.
Des yeux de porcelaine
trouent la nuit.
Assis sur une valise
un vieillard pose sur ses genoux
une autre valise.
Il lit.
NOUS SOMMES VENUS D’UN CIEL À L’ENVERS…
Extrait 2
plumes noires
squelettes blancs
de Flora la belle romaine
plumes noires
de pendus en pendus
grappes maudites
et semences de mandragore
COMMENCE UNE PHRASE…
Commence une phrase
commence le ciel
vole et tombe un oiseau
ou se fracasse contre une vitre
diront il s’appelait Icare
compagnie d’aviation
diront les experts
vous expliqueront
Europe des
compassions sélectives
des émotions contrôlées
page une
commence une phrase
qui commence
que je
26.03
septembre
Extrait 2
un matin bleu
lèche les toits
la nuit paresse silencieuse
une faible lueur caresse les tuiles
fallait-il se lever
le jour l’a déjà fait
la nuit est tombée de l’autre côté
dans nos mains la crinière du temps
au-dessus des toits de tuile et de zinc
les hirondelles funambulent
le jour a traversé la chambre
aux volets ouverts
dès le premier pas on oublie
quel pied a ouvert la marche