Michel Butel lance L'IMPOSSIBLE
Ma vie et ma façon d'écrire sont une seule et même chose. Et plus je progresse sur mon chemin d'écrivain, plus je m'aperçois que c'est un chemin très singulier. Je pense d'ailleurs que cette singularité fait bon ménage avec le fait d'être inconnu. Je ne suis décidément pas quelqu'un de public. Je publie, bien sûr, parce que l'idée me plaît d'un rapport intime et fécond, dans une sorte d'absence, avec des inconnus. Mais de là à faire effort pour une plus grande diffusion, j'en suis bien incapable.
1577 - [p. 102] Jean Monod - Ethno - Le Chemin de la liberté
Oraisons
A ceux qui n'ont jamais fait d'affaires
A ceux qui ne font pas affaire
A ceux qui ne font pas l'affaire
A ceux qui ne savent pas comment faire
A ceux qui ne savent plus quoi faire
A ceux qui font ce qu'ils ont à faire
A ceux qui ne savent rien
A ceux qui servent à rien
A ceux qui ne se sentent pas bien
A ceux qui ne tombent pas bien
A ceux qui ne parlent pas
A ceux à qui on ne parle pas
A ceux de qui on ne parle pas
A ceux qui ne parleront pas
2710 – [p. 41] Michel Butel
J'ai appris des Indiens qu'une identité est d'abord un secret. On ne peut partager qu'avec qui sait se taire.
1579 - [p. 102] Jean Monod - Ethno - Le Chemin de la liberté
J'écris comme un homme pour qui l'écriture est un accident de l'histoire. Pour, dans l'écriture, faire passer une autre histoire. Cette histoire, je peux la dire de bien des manières, mais prenons celle-ci : dès lors que l'on considère l'existence humaine comme la forme ultime dans le cycle des réincarnations - s'il y en a un... - il est intéressant de la vivre dans la pleine considération de sa folie.
1627 - [p. 114] Jean Monod - Ethno - Le Chemin de la liberté
Si la peur du loup est universelle, cette idée du « dévorant » est bizarrement typiquement française. En Italie, en Grèce, en Espagne et en Amérique du Nord, où il existe encore des loups sauvages, on ne partage pas ce sentiment. La peur y est totalement désincarnée. Il est troublant de constater qu'en notre doux pays, la peur du loup se confonde de manière générale avec celle de l'étranger. Qu'il s'agisse de la Bête des Vosges aperçue dans le courant de l'hiver 1977-1978 ou de la Bête des Cévennes qui sévit en 1812, on s'empresse de préciser que ces monstres sont d'une espèce inconnue en nos contrées. On évoque immanquablement le cas de solitaires qui traversent parfois nos frontières pour se repaître de notre bétail et ruiner nos agriculteurs à défaut de goûter de la chair humaine. Il en fut évidemment de même en Gévaudan au (18e) siècle... L'une des théories de Gérard Ménatory est que ce carnassier (qui dévora presque exclusivement des enfants et des jeunes femmes) était en réalité un chien de guerre de la race mâtins de Naples, conduit à tuer et dressé par un psychopathe demeurant dans la région.
1659 - [p. 118] Le maître des loups, par Véronique Lesueur
A quoi servent les livres ?
A marcher le long des fleuves, à embrasser dans le cou l'être aimé, à attendre le jour où l'on partira enfin aux îles Boromées, à regarder dormir un enfant, à interrompre sa lecture pour écouter Eric Dolphy, à cueillir un abricot à l'arbre, à penser la nuit aux amis qui sont morts, à se coucher dans l'herbe au mois de mai vers cinq heures de l'après-midi.
2711 – [p. 18] Michel Butel
Quand on regarde le Soleil se lever, à l'équinoxe du printemps, la constellation qui est au-dessus de lui, actuellement, c'est le Verseau. Il y a mille ans, c'était le Poisson. C'est-à-dire que le Soleil, chaque millénaire, semble avancer d'une constellation à l'autre, dans ce qu'on appelle le sens diurne, à rebours du trajet qu'il fait pour parcourir le zodiaque en un an.
Dans toutes les civilisations où l'observation astronomique a été opérante, la détermination de la position du Soleil à l'équinoxe de printemps - ou, entre les Tropiques, lorsqu'il est au Zénith - a fixé le commencement de l'année et son point d'équilibre. La constellation présente à l'est, mais cachée, était considérée comme le chiffre de l'infini, transmis par le Soleil messager. Donc, à chaque fois, ç'a été le Dieu : il y a eu les dieux Jumeaux, le dieu Taureau, ensuite le Bélier, puis les Poissons, que les chrétiens ont choisi comme emblème de leur ère naissante. Or, tout s'est passé comme si chaque changement d'ère - le début de ce que les Grecs appelaient « la grande année » -, avait été marqué par des cataclysmes précédent l'intronisation d'un nouveau dieu., avec sa nouvelle loi, son nouvel ordre. Alors, quelles secousses, pour marquer l'entrée dans le Verseau ? La bombe atomique, bien sûr. Mais après ? Maintenant ?
1608 - [p. 110] Jean Monod - Ethno - Le Chemin de la liberté
En 1949, l'armée monarchiste grecque soutenue par les Britanniques écrase le général Markos, chef des communistes grecs, au mont Grammos. A cette nouvelle, plus de 90 000 Macédoniens fuient les massacres qui s'ensuivent. Non pas qu'ils soient tous communistes, mais Markos a réussi à recruter plus de la moitié de ses soldats parmi les Macédoniens : « Ensemble nous libérerons la Macédoine », leur avait-il dit en substance. Le mensonge était trop gros et les volontaires macédoniens découvrent l'impensable « téléguidage » moscovite. Ils sont arrêtés et envoyés dans les camps soviétiques d'Asie mineure. Les autres sont livrés aux monarchistes et déportés dans les îles. Dans le même temps, 28 000 enfants macédoniens sont pris par les communistes et éparpillés aux quatre coins du globe. « C'est ça, ou les monarchistes les tueront ! »
1674 - [p. 147] Macédoine, par Jean-Christophe Nothias
Les Piaroa sont peu nombreux : quatre à cinq milles personnes, parlant la même langue qui n'est ni semblable ni apparentée à aucune de celles parlées dans leur entourage. Eux-mêmes ne s'appellent pas Piaroa (nom donné par les Espagnols) mais les Dé'ana, « gens de la forêt ». Ils ne s'appellent pas « gens de la savane » comme les Guahibos, leurs voisins colombiens, « gens de la terre », comme les insectes « gens d'en haut », comme les oiseaux « gens de l'eau », comme les poissons... Gens de la forêt : c'est une façon discrète de se situer, une façon de se nommer tout en réservant le nom propre.
1580 - [p. 103/106] Jean Monod - Ethno - Le Chemin de la liberté
Epitaphe
Ci-gît celui ou celle qui a fini son livre.
Ami lecteur, passant, récite-lui un poème, une phrase.
Ci-gît l'enfant, par ses poumons entrait dans le vent
Toi qui passes en respirant
Songe à sa voix se déchirant
Ci-gît la jeune femme qui dormait
Toi qui dormais auprès d'elle
Veille encore
Son sommeil
Qui est le tien qui te protège qui est en elle
Ci-gît l'amant le négligent
Toi qui es sans forces
Qui rêve et qui dors après des tombes
Prie pour lui son amour très fort
Fut un linceul une stèle une herbe
Ci-gît celui ou celle qui écrit
Nul n'ignore qu'ils son deux celle ou celui
1574 - [p. 368] Michel Butel