D ' un poète aimé j'ai fermé le tome,
Et pensif je songe à toi, mon ami;
Car le souvenir, gracieux fantôme,
Hante bien souvent mon coeur endormi.
Je pense au passé, beaux jours de jeunesse,
Des illusions âge décevant,
Songe passager, temps de folle ivresse,
Flot de poudre d'or qu'emporte le vent !
Nous avions pour nid la même mansarde;
Le coeur près du coeur, la main dans la main,
Nous allions gaîment... Oh ! oui, Dieu me garde
D'oublier ces jours, fleurs de mon chemin !
Ah ! je l'aime encor ce temps de bohème,
Où chacun de nous par jour ébauchait
Un roman boiteux, un chétif poème
Où presque toujours le bon sens louchait.
Oui, je l'aime encor ce temps de folie
Où le vieux Cujas, vaincu par Musset,
S'en allait cacher sa mélancolie
Dans l'ombre où d'ennui Pothier moisissait.
Nos quartiers étaient à peine accessibles:
Splendide grenier, mais logis mesquin;
Confuse babel d'objets impossibles:
La toge romaine au dos d'Arlequin !
C'était un spectacle à rompre la rate
Que ce galetas à moitié salon,
Où Scarron faisait la nique à Socrate,
Où Scapin donnait réplique à Solon.
La Voix d'un exilé est le cri d'une âme blessée dont le dépit est à la mesure des illusions. Toutefois, sitôt la frontière franchie, le jeune homme retrouva enthousiasme et candeur et se prépara de nouvelles déceptions. La véritable cause de ses malheurs fut son caractère outrancier. Prisonnier d'un cycle fatal, il connut longtemps ces alternances d'enthousiasme et de découragement qui ne s'atténuèrent qu'à la longue et se perdirent dans la neurasthénie de ses dernières années (1902-1908).