— Je l’ai su avant vous, voilà tout. Vous êtes allé vers la fenêtre et vous l’avez vue, ma Zerraco-Farti, je n’oublierai jamais votre regard, Louis. Les hommes regardent les belles voitures comme ils regardent les femmes, ils en font des femmes qu’ils humilient, qu’ils possèdent, vous, vous aimez, vous aimez cette voiture comme une voiture, je suppose que vous aimez une femme comme une femme. Cela doit venir du vin ou de l’âge, je n’ai jamais autant parlé. Mais il fallait vous expliquer, pour la Zerraco-Farti…
Elle pensait que c’était un salaud. Il fait semblant de ne pas me croire quand je lui dis que je m’en vais, c’est commode, il a envie de moi. Pauvre Anna. Je devrais être contente : pendant dix ans, j’ai entendu parler de l’admirable Anna, ah quelle femme il a Béranger, douce, ambitieuse, riche même, très, à qui doit-il son théâtre Béranger et ses femmes, même ses femmes, à qui ? À qui les doit-il ? À l’admirable Anna.
Ce que Sporodine perdait d’un certain côté, il allait le retrouver dans une certaine vengeance :
— Mon cher Max, point n’est besoin d’avoir fait de la philosophie pour porter un jugement : les histoires de fesses se détruisent par la fesse
Il avait conservé les clefs de la maison Chini (n’était-elle pas à eux trois dans une indivision qu’ils respecteraient fidèlement ?) bien qu’il la laissât entièrement à Adrienne.
Il savait, ce matin-là, celle-ci au bureau. D’ailleurs il n’entrerait pas dans la maison. Il n’allait qu’au garage où très, très longtemps avant ce beau jour sec d’hiver ensoleillé, le petit garagiste avait remis en place la Zerraco-Farti.
Ce jour-là, encore, il vit se succéder dans sa vie les danseuses bon marché et les dernières courtisanes chères, il vit l’amour volé au travail bancaire, il vit le bâtard incertain dont il financerait tout de même l’éducation, il vit son neveu qui viendrait chaque premier jour de l’année, guindé et silencieux, lui souhaiter sa propre chance.
C’était un très beau jour. Anton s’était installé à la terrasse fermée d’un café de l’avenue Montaigne. La croupe sous le soleil des jeunes femmes qui passaient dans la rue avaient pour Anton des tendresses berlinoises. Il résolut de s’en offrir une, parfumée et préparée pour son plaisir et rêva de l’immédiateté de ces fesses dont il caressait déjà les aurores, dont il allait pénétrer les blancheurs, imaginant le sexe à leur terminaison, un sexe encore sans visage mais bientôt découvert, rose et un peu frêle, quand il ferait retourner la femme inconnue maintenant prévenue de son arrivée puisqu’il venait de téléphoner
Mais il chassait ces corps tués pour ne rien conserver que de Paris, heureux de voir qu’après le silence de l’ascenseur il était attendu par une femme affable et sans sourire qui lui indiquait une direction, un numéro. Une soubrette accompagna Anton. Était-ce ? Non, une autre femme viendrait à qui il avait suffi de dire un chiffre, un appartement. Le rendez-vous – pourquoi pas ? – prenait des allusions de l’amour et s’accompagnait de la promesse de la satiété, c’était une maison galante et non une maison de passe.
Frank était assis devant un énorme piano, tournant le dos au lieutenant et continuant à jouer comme si aucune présence n’eût dû le déranger. Était-ce un air très connu ou une musique que Schmelz ne parvenait pas à définir ? Rien dans la pièce qui distinguât la guerre, seulement trop de mégots peut-être dans de vastes cendriers et des fenêtres aux rideaux tirés. Le gouverneur s’arrêta de jouer, se retourna doucement sans quitter son tabouret et fixa le soldat très longtemps, avec un sourire.
Elles étaient déjà entrées, il était trop tard pour demander des éclaircissements. Avaient-ils couchés ensemble ? Marthe s’en moquait éperdument. Elle fut plus intéressée quand elle vit le personnage. Quand elle l’entendit parler elle eut l’impression qu’il ne lui était pas inconnu.
Dès leur toute première rencontre ils avaient pensé ne s’aimer qu’un mois ou deux. Ils étaient mariés depuis trois ans. Tous les mercredis ils se jouaient la comédie de la rupture.