AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de lanard


A propos de Le meilleur des mondes d'A. Huxley (p. 194)
Bruno : « J’ai toujours été frappé, commença-t-il avant même de s’être assis, par l'extraordinaire justesse des prédictions faites par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes. Quand on pense que ce livre a été écrit en 1932, c’est hallucinant. Depuis, la société occidentale a constamment tenté de se rapprocher de ce modèle. Contrôle de plus en plus précis de la procréation, qui finira bien un ou l’autre par aboutir à sa dissociation totale d’avec le sexe, et à la reproduction de l’espèce humaine en laboratoire dans des conditions de sécurité et de fiabilité génétique totales. Disparition par conséquent des rapports familiaux, de notion de paternité et de filiation. Élimination, grâce aux progrès pharmaceutiques, de la distinction entre les âges de la vie. Dans le monde décrit par Huxley les hommes soixante ans ont les même activités, la même apparence physique, les même désirs qu’un jeune homme de vingt ans. Puis, quand il n’est plus possible de lutter contre le vieillissement, on disparaît par euthanasie librement consentie ; très discrètement, très vite, sans drames. Les société décrite par Brave New World est une société heureuse, dont ont disparu la tragédie et les sentiments extrêmes. La liberté sexuelle y est totale, plus rien n’y fait obstacle à l’épanouissement et au plaisir. Il demeure de petits moments de dépression, de tristesse et de doute ; mais ils sont facilement traités par voie médicamenteuse, la chimie des antidépresseurs et des anxiolytiques a fait des progrès considérables. « Avec un centicube [sic], guéris dix sentiments. » C’est exactement le monde dans lequel aujourd’hui, nous souhaiterions vivre.
Je sais bien, continua Bruno avec un mouvement de la main comme pour balayer une objection que Michel n’avait pas faite, qu’on décrit en général l’univers d’Huxley comme une cauchemar totalitaire, qu’on essaie de faire passer ce livre pour une dénonciation virulente ; c’est une hypocrisie pure et simple. Sur les points – contrôle génétique, liberté sexuelle, lutte contre le vieillissement, civilisation des loisirs, Brave New World est pour nous un paradis, c’est en fait exactement le monde que nous essayons, jusqu’à présent d’atteindre. Il n’y a qu’une seule chose aujourd’hui qui heurte une notre système de valeurs égalitaire – ou plus exactement méritocratique – c’est la division de la société en castes, affectées à des travaux différents suivant leur nature génétique. Mais justement, c’est le seul point sur lequel Huxley se soit montré mauvais prophète ; c’est justement le seul point qui, avec le développement de la robotisation et du machinisme, soit devenu à peu près inutile. Aldous Huxley est sans nul doute un très mauvais écrivain, ses phrases sont lourdes et dénuées de grâce, ses personnages insipides et mécaniques. Mais il a eu cette intuition – fondamentale – que l’évolution des sociétés humaines était depuis plusieurs siècles, et serait de plus en plus, exclusivement pilotée par l’évolution scientifique et technologique. Il a pu par ailleurs manquer de finesse, de psychologie, de style ; tout cela pèse peu en regard de la justesse de intuition de départ. Et, le premier parmi les écrivains, y compris les écrivains de science-fiction, il a compris qu’après la physique c’était maintenant la biologie qui allait jouer un rôle moteur. »

( p. 197)
Michel : « Huxley appartenait à une grande famille de biologistes anglais. Son grand-père était un ami de Darwin, il a beaucoup écrit pour défendre les thèses évolutionnistes. Son père et son frère Julian étaient également des biologistes de renom. C’est une tradition anglaise, d’intellectuels pragmatiques, libéraux et sceptiques ; très différents du Siècle des Lumières en France, beaucoup plus basé sur l’observation, sur la méthode expérimentale. Pendant toute sa jeunesse Huxley a eu l’occasion de voir les économistes, les juristes, et surtout les scientifiques que son père invitait à la maison. Parmi les écrivains de sa génération, il était certainement le seul capable de pressentir les progrès qu’allait faire biologie. Mais tout cela serait allé beaucoup plus vite sans le nazisme. L’idéologie nazie a beaucoup contribué à discréditer les idées d’eugénisme et d’amélioration de la race ; il a fallu plusieurs décennies pour y revenir. » Michel se leva, sortit de sa bibliothèque un volume intitulé Ce que j’ose penser. « Il a été écrit par Julian Huxley, le frère aîné d’Aldous, et publié dès 1931, un an avant le Meilleur des mondes. On y trouve suggérées toutes les idées sur le contrôle génétique et l’amélioration des espèces, y compris de l’espèce humaine, qui sont mises en pratiques par son frère dans le roman. Tout cela y est présenté, sans ambiguïté, comme un but souhaitable, vers lequel il faut tendre. »
(…) »Après la guerre, en 1946, Julian Huxley a été nommé directeur général de l’Unesco, qui venait d’être créé. La même année son frère a publié Retour sur le Meilleur des mondes, dans lequel il essaie de présenter son premier livre comme une dénonciation, une satire. Quelques années plus tard, Aldous Huxley est devenu une caution théorique majeure de l’expérience hippie. Il avait toujours été partisan d’un entière liberté sexuelle, et avait joué un rôle de pionnier dans l’utilisation des drogues psychédéliques. Tous les fondateurs d’Esalen le connaissaient, et avaient été influencés par sa pensée. Le New Age, par la suite, a repris intégralement à son compte les thèmes fondateurs d’Esalen. Aldous Huxley, en réalité, est un des penseurs les plus influents du siècle. »
Commenter  J’apprécie          150





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}