Quelques notes cristallines, perlées comme un ruisseau devant la roche. Puis une envolée, une montée sans fin, irrésistible.
Un coup de foudre. On hésite à employer ces mots. Utilisée hors du champ de l'amour, l'expression sonne faux. Pourtant c'est bien de coup de foudre qu'il était question. Un coup. Avec un avant et un après. Dire qu'il a été porté à la première note serait exagéré. Les dix premières mesures, peut-être? Plus tard, quand elle y repenserait, Pascale ne saurait plus exactement à quel moment elle était sortie d'elle-même. A quel moment elle avait tourné le dos à sa vie antérieure.
Elle voulait demander aux pianistes, dont le métier consiste à dompter le silence, comment ils maîtrisent les quelques secondes de latence qui précèdent le début d'un morceau; comment ils font pour que la main qui se pose sur la première note, ce premier contact qui n'a l'air de rien, contienne déjà une émotion pleine et non plus seulement un son.
L'ennui rend insensible. L'apathie enferme dans un monde figé, atone, clos, sans espoir.
Cette crise identitaire et émotionnelle était terrible; elle avait effleuré, puis perdu, la grâce. Les jours se succédaient, lourds de fatigue et de tristesse.
Pascale s'endormait enfin en s'imaginant seule sur une scène assise à un piano devant une salle comble venue l'écouter, elle, seulement elle.
Les timides laissent rarement éclater leurs émotions, c'est pourquoi leurs accès de colère peuvent être d'une violence inouïe.
Le meilleur moyen de se garder des deuils inexpiables est encore de ne pas aimer.