L’enjeu politique est toujours la liberté. Mais, ici, on ne s’en rend pas compte. On ne saurait reconnaître les symptômes précurseurs de la démence politique. Notre mémoire est trouée, on a oublié les leçons, pas si lointaines, de l’Histoire. On serait en train de nous fabriquer une petite dictature qu’on n’en devinerait rien… Une dictature avec toutes les apparences de la démocratie, concoctée par la passivité et la lâcheté.
Le plus merveilleux langage humain est à l’image de l’Homme. Et comme lui, il peut être tout autant paisible, profond et compatissant que vindicatif, trompeur et cruel. La musique traduit toutes les passions. Elle se donne aux plus pures. Elle se vend aux plus viles.
Vingt ans plus tard, le mur de Berlin tombait. Le communisme implosait. La terre redevenait une quelques instants. Le temps de nourrir l’euphorie. Car, pendant que nous dansions encore et que brûlaient les feux de joie, tapis dans des grottes secrètes et coulés dans les fauteuils d’un bureau ovale, les idéologues complotaient déjà. Ils s’arrachent aujourd’hui les drapeaux et paradent au nom de la liberté de tuer chacun pour la gloire de son Dieu qui
les récompensera un jour dans des cieux baignés de sang.
La peur. Toujours la peur. Elle impose ses boucliers de rectitude, de violence,
d’aversion, de haine. Elle aiguise le goût des masques, des sectes, des paroles magiques et de la langue de bois. Elle renvoie aux idées reçues, à l’opinion des experts autoproclamés et aux avis des gourous en communication directe avec l’au-delà. Elle pousse à l’application bête de la loi, du règlement ou de la consigne et peut faire de chacun de nous un allumeur de réverbères…
De la technologie ! Elle a répondu à notre appel : au delà de nos plus folles espérances. Les archives du monde, les trésors des musées, les voyages, l’histoire, tout cela est à portée de clavier. Mais, si merveilleuse, si fascinante
qu’elle puisse être, la technologie ne va jamais plus loin que nos désirs. Elle ne comble que nos exigences et se moule à notre insignifance.
Emigrer est une expérience déchirante. Les premières années, on doit s’adapter à tant de petites choses incontournables qu’on oublie le mal le plus profond. C’est après, quand on a bien fait nos devoirs d’immigrant, qu’on admire même notre rapidité d’intégration que la réalité nous rattrape. Et parfois nous étoufe…
La peur ne s’envole, que le jour où l’on ne peut plus rien perdre. Quand la vie même est illusoire, qu’elle n’a plus de prise sur l’âme, seulement alors cesse le pouvoir de la peur sur nous. Vous savez, quand la mort est constamment présente, quand elle creuse les visages, les évide, quand l’épuisement est la norme, quand même la faim n’existe plus, alors là seulement, disparaît la peur. On ne craint plus rien.
L’âge d’or de l’humanité, c’était celui de l’ignorance, de l’inconséquence. Une enfance aveugle, béate. L’humanité a grandi, Léandre. La conscience lui est venue et c’est elle qui a verrouillé les portes du paradis terrestre. Puis, l’humanité s’est inventé un idéal d’égalité fraternelle et de liberté qui fait
ronronner les grandes orgues dans la cathédrale des bonnes intentions.
Un autre monde était né pour nous. Un village planétaire dont nous ignorions encore les contours, les valeurs, et les débordements s’était installé chez nous. Nous nous sommes crus afranchis de la haine. Nous baignions dans l’espoir du changement. L’ère du Peace and Love pouvait éclater.
Ne dis rien, y a ce silence qui nous unit
Ne dis rien, y a toi et moi, et ça suft.