Michèle Reiser - Jusqu'au bout du festin
Pas de morale, la question n’était pas d’ordre moral. Savoir si c’était bien de faire un enfant quand l’avenir est incertain, ce choix n’appartient qu’à ceux qui le font.
Les séances le rendaient malade. Il voulait que j’achète, pour le nourrir, des biscuits pas chers, des biscuits de caserne. Cette nourriture prise avant que le foie ne se blesse ne méritait pas un denier. Pas un denier pour ce que l’on va vomir.
C’est seulement une heure plus tard, seule face à la mer, que je réalisai ce qu’il venait de me demander. Une façon pour lui de surmonter l’horreur. Son salut devait passer par là, par cette inhumanité.
On ne s’était rien dit après. Dans le silence, il s’était approché de mon visage et m’avait aimée avec tant de douceur, dans cette sinistre chambre, qu’éternellement j’en garderais les stigmates.
On eut du mal à me réanimer. C’est dans les yeux bleus de Chus penché sur moi que je retrouvai la vie et le monde. Nous étions mariés.
Un ange, une fulgurance. Il ne faisait que traverser la scène. Il était ailleurs
Il nous avait déjà quittés entre le ciel et l'eau, son domaine d'éternité