Elle te dit que ce qu’elle aime le plus chez toi, c’est ce mélange de virilité et de tendresse. Tu n’oses pas saisir cette perche, tu as encore trop peur qu’elle ne t’échappe. Mais peu à peu elle prend confiance, commence à te parler de son mari qui lui fait des histoires pour un oui ou pour un non – afin de prouver qu’elle n’y est pour rien, elle te dit :
« Il voudrait me forcer à couvrir mes cheveux. Il voudrait forcer Rana à porter des jupes aussi longues que celles des paysannes, alors que dans son lycée, en section internationale, ses copines viennent toutes en minijupe… En plus, les jupes de Rana sont longues, elles lui arrivent juste au-dessus des genoux… Vraiment, je ne peux pas aimer un homme avec une mentalité aussi attardée. »
Yasmin cultive pour sa part une image très seventies de la belle-de-nuit (à quelques nuances et actualisations près) : maquillage excessif, chewing-gum, posture cambrée, petits coups d’œil répétés, vêtements moulants et transparents, sac à main démesuré dont on devine sans mal le contenu au regard des éléments précédents.
Pour Yasmin, la police des mœurs ne constitue pas un réel motif d’inquiétude ; elle connaît presque tout le personnel des commissariats environnants, des sous-fifres aux inspecteurs en passant par les gradés, de Madinet Nasr zone 1 à Madinet Nasr zone 2 en passant par Masr el-Gadida et El-Nuzha. Elle leur offre ses faveurs en nature ou sous la forme de dessous-de-table, et joue régulièrement les intermédiaires entre les officiers et les plus gros poissons que compte sa clientèle.
Une sorte de quiétude te gagne. Tu décides qu’à partir de maintenant tu feras tes prières, et aussi que tu t’arrêteras de fumer, mais au même instant tu revois l’image de la belle infirmière de l’hôpital, celle qui est venue t’annoncer le décès de ton père, et dont tu as senti le souffle brûlant dans le creux de ton oreille. Tu t’efforces de chasser cette pensée, tu t’en veux, pourtant tu sais pertinemment qu’une fois cette vague d’agitation passée, tu trouveras n’importe quel prétexte pour lui rendre visite.
L’endroit inspire confiance à tout le monde et vous ne rencontrez pas de problème, d’autant qu’en matière d’ordre public les surfaces de logement comme celle-ci sont du ressort de la police militaire. Très vite, votre établissement devient si populaire chez les lycéens de Madinet el-Salam, d’El-Nahda et d’El-‘Ubur, qu’entre camarades de classe on va jusqu’à se dire :
« Tu vas en cours, demain ? »
La réponse étant en général, le plus naturellement du monde :
« Non, je vais à Frinds Games. »
Cette vieille dondon vous a annoncé de but en blanc, sans vous laisser la moindre marge de négociation : « Le loyer, c’est quatre-vingt-dix guinées… Si vous n’avez pas payé le premier du mois, le deux, vous trouverez votre bazar sur le trottoir. »
Elle est belle, même si les années ont un peu entamé sa beauté d’antan.
Vous êtes prêts à tricher jusque dans la mort… Vous allez jusqu’à pousser vos défunts à tricher lorsqu’ils doivent répondre !
Dieu est avec ceux qui se montrent patients.