A propos de Luis Buñuel:
Dans un texte bref, il écrit: "Il suffirait que la paupière blanche de l'écran puisse refléter la lumière qui lui est propre pour faire sauter l'univers. Mais pour le moment nous pouvons dormir tranquilles, car la lumière cinématographique est soigneusement dosée et enchaînée."
En réalité, pratiquement tout le matériel cinématographique réalisé par des cinéastes juifs sous le mandat britannique, en particulier les actualités filmées, a subi le préjudice de la censure. Les réalisateurs ont dû recourir à toutes sortes de stratagèmes, (...), pour que leurs films soient projetés.
Avertissement de l'éditeur
Nous avons acquis ce livre "en solde" en mars 2011 en nous protégeant d'une pluie battante à la Cinémathèque de Tel-Aviv, en route vers une réunion familiale à Ein-Hod (près de Haïfa).
Cet ouvrage est un "unicum".
Nous l'avons fait traduire vers l'anglais, nous l'avons lu, nous avons pris conseil (nous remercions Mr Gilles Lyon-Caen) et forts de notre indépendance totale et de notre liberté vis-à-vis de la "communauté" à Paris comme ailleurs, avons pris attache avec l'auteur qui en est l'ayant-droit. Malgré l'absence de mise à jour publiable en français, d'illustrations, d'index et de cinématographie, nous avons douté tant et plus et nous avons néanmoins décidé de le publier en langue française.
(...)
En dépit de toutes sortes de défauts et de bévues, on peut mettre à l'actif de l'Autorité de radiodiffusion d'Israël (Israeli Broadcast Authority, IBA.) quelques réussites majeures, dont elle peut être fière. On peut en citer des exemples dans tous les types de programmes dont elle a eu la charge : ceux de la direction de l'information (enquêtes, exposés, interviews), les émissions satiriques, les débats, émissions consacrées aux droits des consommateurs et même les séries dramatiques. Mais c'est dans le domaine du documentaire qu'elle a trouvé son point fort, et les films et émissions documentaires comptent parmi les réalisations les plus durables et les plus remarquables de ce qui était alors l'unique chaine de télévision. Pour mieux le comprendre, il nous faut examiner le contexte dans lequel le documentaire a joué un rôle dans l'histoire du cinéma israélien, avant 1948 et depuis.
Israël revendiquant officiellement son appartenance à l'Occident libéral, la question se pose dès lors de savoir pourquoi la censure y est encore en vigueur au XXIe siècle. Il est très difficile d'expliquer pourquoi certaines personnes croient encore que la liberté du public doit être limitée, que le public doit, "pour son bien", être "éduqué" par ceux qui "savent" et qu'il ne faut lui proposer que des "contenus sains et bénéfiques".
Un Trou dans la lune constitue la première tentative - une tentative jusqu'alors sans précédent - de tourner en dérision le pathos sioniste - et de montrer que l'absurdité de ce pathos est une conséquence directe de l'esprit pionnier, de l'arbitraire et du fanatisme (entre autres caractéristiques) inhérents au sionisme (qui parfois les revendique).
En 1963, ayant achevé son bref "apprentissage" cinématographique, Uri Zohar s'engage dans la réalisation de son premier film majeur : Un Trou dans la lune (Hor Ba Levana). Pour entreprendre cette tâche, il dispose de quatre principaux outils dont la réunion fournit un premier indice permettant de comprendre la nature singulière de ce film et peut-être l'ensemble de la production cinématographique de Zohar.
La persécution, puis l'extermination des Juifs européens ont, dans la seconde moitié des années 1930 et durant les années 1940, pénétré puis imprégné la conscience juive. Ces répercussions de la Shoah dans la conscience juive ont fait du territoire, celui que l'on nommait alors la "terre d'Israël", le territoire de la "promesse", une promesse d'éternité. L'une des premières expressions cinématographiques de cette évolution fut le film de Nathan Axelrod et Ari Wolf, M'Al Haruravat (Over the Ruins - 1938).
(...), il faut maintenant que nous nous posions la question du concert de louanges qui a salué la sortie de Blues Lahofesh Hagadol, en juillet 1987, malgré toutes ses défaillances morales et idéologiques. Comment tant de critiques et de théoriciens ont-ils pu en particulier lui trouver, pour y applaudir, une dimension subversive et contestataire? La réponse se trouve dans le fait qu'un tout petit groupe occupe toutes les positions clés du cinéma israélien. Les gens qui font fonctionner ce système, et les six sous-systèmes qui le composent (financement, production, équipe technique, distribution, projection et communication) sont pour la plupart sionistes et socialistes, ou du moins prétendent épouser cette vision du monde. La culture politique qu'ils ont mise en place est celle qui s'incarne dans cette prescription que nous avons déjà évoquée : "Vas-y et regrette-le". Dans Blues Lahofesh Hagadol, ce slogan trouve son expression dans la "fausse protestation" qui envahit le film jusqu'au moindre de ses photogrammes.
Zohar a proclamé à de nombreuses occasions qu'il passait librement d'un style à l'autre parce qu'il est préférable pour n'importe quel film d'être commercial et de toucher le grand public que d'être "art et essai" et irregardable. Rétrospectivement, cela ressemble à une justification après coup de ses choix et de ses actes - qui obéissaient à des raisons pratiques, celle avant tout de couvrir les dettes occasionnées par les films qui n'avaient attirés que très peu de spectateurs.
Néanmoins, les films ultérieurs de Zohar ne diminuent en rien l'apport considérable d'Un Trou dans la lune qui, pour l'ensemble du cinéma israélien à venir, plaçait la barre très haut, tant par ses qualités cinématographiques que par l'audace et l'intelligence avec lesquelles il pénètre la réalité israélienne.