L’autobus s’immobilise dans ma rue. J’en descends lentement, le cœur aussi lourd que mon sac à dos. Lorsque j’arrive chez moi, je vois le joli visage de Sabine, ma petite sœur, dans la fenêtre du salon. Chaque jour, debout sur le canapé, elle guette avec impatience mon arrivée. Puis, elle court m’ouvrir la porte et, avant même que j’aie le temps de déposer mes affaires, elle me saute dans les bras. Sabine, avec ses deux petites tresses blondes, c’est un rayon de soleil. Lorsqu’elle est née, j’avais huit ans et je me suis promis que je serais toujours là pour elle. Je l’embrasse dans le cou, ce qui la fait rigoler. Je lui demande si elle a passé une bonne journée.
Elle explose de rire. Je ne comprends pas ce qu’il y a de si drôle, mais je ris moi aussi. Je ris tellement que j’en pleure, que j’en oublie de penser à ma mère, à Michel. Pour un instant, je redeviens l’adolescente naïve que j’étais avant qu’il entre dans notre vie, celle qui croyait que l’amour était une chose douce et belle.
Quand elle est amoureuse (ce qui arrive souvent), Laurie oublie tout, jusqu’à ses devoirs et ses examens. Elle a même failli couler son cours de maths l’an dernier à cause de William, un gars de cinquième secondaire qui lui a brisé le cœur. Et, comme ses parents sont souvent absents, elle ne peut pas compter sur eux pour la rappeler à l’ordre.
D’habitude, avec mes cheveux brun foncé et mes yeux pratiquement de la même couleur, je me trouve vraiment ordinaire, mais, ce soir, je vois dans la glace une fille mince aux cheveux soyeux, aux yeux en amande et qui, en plus, a la chance de n’avoir presque aucun bouton. Dans le fond, je ne suis peut-être pas si ordinaire que ça…
Depuis le temps qu’on se connaît, on n’a plus besoin de parler pour se réconforter mutuellement. Quand nous avions cinq ans, Marianne a perdu son père, qui luttait contre un cancer depuis déjà plusieurs années. Je me souviens qu’à cette époque ni elle ni moi n’avions de mots pour exprimer ce que nous ressentions.
Madame Bilodeau est la terreur de la polyvalente. Aussi imposante qu’une lutteuse, elle est capable de hurler à faire trembler les murs. Et, chaque semaine, elle envoie au moins un élève chez le directeur. Pour un mot de trop, un rire déplacé, le port d’une casquette ; plein de petites choses qui se passent aussi dans les autres cours, mais que les profs tolèrent habituellement. Il paraît qu’avant d’être prof, madame Bilodeau était chanteuse d’opéra ; on l’aurait mise à la porte parce qu’elle faisait régulièrement des crises de nerfs en pleine répétition. Je ne sais pas si tout cela est vrai, mais je dois avouer que je n’ai pas vraiment de mal à y croire.
Elle pleure, son visage maculé de sang, ses beaux cheveux brillant de mille éclats de verre. Elle se tient la mâchoire à deux mains, et mes bras qui tentent de la consoler ne peuvent plus rien pour elle.
Ah ! J’envie le style séduisant de Laurie et celui d’Anaïs, toujours très classe. À côté d’elles, j’ai l’air d’une enfant du primaire !
– Moi, les romans, ça m’emmerde ! Des histoires inventées, ça sert à rien ! J’aime mieux lire des documentaires.