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Citation de Alxthiry


J’ai passé un hiver entier dans ma ville de Nîshâpûr, sans voyager, sans désir d’enrichir ma bibliothèque, sans essayer d’apprivoiser le désert, l’isolement, sans envie de connaître les extravagances, les paroles folles. Cependant, dans la mosquée de Nîshâpûr, celle où je priais depuis mon enfance, j’ai croisé un prédicateur hors du commun. J’ai essayé de retenir ses mots.
C’était un homme de taille moyenne, imberbe et légèrement potelé. Son turban se déplaçait constamment sur sa tête, glissait sur son front, retombait en arrière, ce qui l’obligeait à l’ajuster en permanence. À peine assis sur la dernière marche de la chaire, il étendait ses pieds et les posait deux marches plus bas pour faire croire que ses jambes étaient longues.
J’assistais à tous ses prêches. Il commençait toujours à prier pour les voleurs, ceux qu’on appelle râhzan, les coupeurs de route. D’une main, il ajustait son turban rebelle et de l’autre il montrait le ciel en criant :
— Ô Dieu, dispense Ta Miséricorde sur ceux sont mauvais, ceux qui pèchent, ceux qui corrompent, ceux qui ridiculisent les hommes de bien, ceux qui ne croient pas en notre religion.
Un jour, pourtant, un fidèle interrompit le prêche de l’imberbe imam en ces termes :
— Tu ne pries que pour les méchants. C’est inadmissible !
L’imam, ajustant d’une main son turban qui recouvrait à ce moment-là presque tout son front, répondit :
— Je prie pour eux parce qu’ils m’ont fait du bien.
L’homme demanda avec un sursaut de rage dans la voix :
— Non seulement tu ne pries pas pour les purs, mais tu oses affirmer en pleine chaire que les souillés t’ont fait du bien ?
L’imam répondit :
— Oui, mon ami. Ces hommes que tu appelles souillés, ces méchants, ces injustes, ces violents, me dirigèrent du mal vers le bien. Chaque fois que je tournai mon visage vers ici-bas, ils m’infligèrent un coup, une blessure. Mon bon ami, ce sont justement ces coups et ces blessures qui me firent prendre refuge dans l’au-delà. Mon bon ami, ce sont justement les loups qui m’indiquèrent le bon chemin. C’est pour cela que je prie pour eux.
Il réajusta son turban et continua :
— Les hommes se plaignent des centaines de fois devant Dieu de leur souffrance, de leur blessure, de leur douleur. Mais ils ne savent pas que c’est la souffrance et la douleur qui les rendirent bons et justes. Ils ne savent pas davantage que c’est la grâce et la faveur qui les éloignèrent du Créateur, qui les exclurent de son entourage.
Il regarda l’homme qui l’avait blâmé et dit :
— En réalité, chacun de tes ennemis est ton remède, ton élixir, ton bienfaiteur, ton vrai ami. Car tu t’enfuis de lui et tu implores Dieu. En revanche, tes amis sont des ennemis. Car, en t’occupant, ils t’éloignent de la présence divine. Regarde le hérisson qui grossit et embellit sous les coups de bâton qu’il reçoit. Regarde les Prophètes – paix sur eux - qui agrémentent leur esprit des souffrances et des défaites. Regarde le cuir qui devient doux comme une plume quand le tanneur le frotte et le traite avec des produits amers et acides. Regarde l’homme qui se purifie, s’adoucit et prospère, au contact de l’amer et de l’acide.
L’interlocuteur de l’imam reprit la parole pour demander :
— Que faire si on est incapable de s’administrer ce genre de traitement ?
L’imam, une main sur le turban, répondit :
Dans ce cas, accepte la souffrance que Dieu t’envoie. Car le fléau envoyé par l’Ami est une purification. Au contact de la pureté, le fléau devient du sucre. Au contact de la guérison, le remède devient agréable.
Puis il se tut, tout occupé à enrouler son turban qui s’était entièrement défait. Apparemment satisfait, son interlocuteur quitta la salle de prédication. L’imam, tout en enroulant son turban, dit encore : — Sois comme ce joueur d’échecs qui, alors qu’on lui annonce : « Mat ! », voit sa victoire.
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