Les lumières des maisons, les reverbères, les enseignes lumineuses, toutes les lumières humaines sont éteintes, rien ne brille à part les phares des voitures. Ce lieu est différent de tous les endroits que nous venons de traverser. Oui, notre véhicule vient enfin d'arriver à Rikuzentakata. En traversant le pont Mattade, dans l'obscurité, on distingue des voitures défoncées accumulées sur le bord du chemin, et à la balustrade du pont, on devine que sont accrochées toutes sortes de choses, des plantes recouvertes de boue, des sacs en plastique. Ce pont est assez haut au-dessus du niveau de l'eau et à l'intérieur des terres, à bien cinq kilomètres de la mer, pourtant le tsunami avait une telle hauteur qu'il a atteint la balustrade et a continué son avancée le long du lit de la rivière, renversant tout ce qui se trouvait sur les rives. De l'autre côté du pont, se trouvait Shimo-Yahagi. C'est un village montagnard : qui aurait pu imaginer que la mer serait venue envahir les terres jusqu'ici ?
« Tu arrives 30 ans trop tard. » C’est ce que me dit un ami d’origine polonaise. Il a peut-être raison. Sur ces immenses terrains, maintenant désertés, que l’on voit ici et là dans la région, il y a 30 ans, se dressaient encore de nombreuses installations minières. Il y a 30 ans, l’air avait encore l’odeur du charbon, et on entendait encore le fracas des machines auquel se mêlaient parfois les conversations ou les chansons des ouvriers et de leurs familles. « Maintenant que tout cela a disparu, que viens-tu photographier ? »
A partir d'infimes éléments restés dans ce futur, 30 ans plus tard, de choses sur le point d'être oubliées, de toutes les photos que l'on peut rassembler et puis de mots, on doit imaginer et prolonger ainsi la mémoire des autres. Si on ne le fait pas, une histoire se perd rapidement et disparaît. C'est un travail difficile. Et c'est à cause de cette difficulté que d'innombrables histoires ont disparu sans doute. Pourtant, nous tentons toujours de poursuivre ce tissage du temps et de la mémoire.