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Citation de Charybde2


Une fois passée sa soixantième année, Jean de Conty a commencé de subir le retour des souvenirs d’un passé lointain.
Il le savait : c’était le signe de l’entrée dans la vieillesse. Cela ne le troublait pas. Il en éprouvait même une forme de plaisir. Il retrouvait, sans l’avoir cherchée, une part perdue de lui-même.
Parfois, le plaisir était incongru, malicieux. Le souvenir qui revenait le distrayait du présent.
Un jour, par exemple, recevant un « Important », il lui a retiré en imagination son costume de quasi ministre pour le vêtir de la blouse fuligineuse du marchand Dutertre, qui, deux fois dans l’année, livrait le charbon chez ses parents. L’image était restée enfouie pendant plus de quarante ans !
Conty entendait le camion de livraison s’annoncer dans un fracas de tous les diables, sur les ornières du chemin, le long de la voie ferrée. Dutertre en descendait dans la douleur, charriait le gros sac sur son dos cassé, le déposait à l’entrée du cellier. Un instant après, il se requinquait du verre de vin rouge qu’il buvait à la cuisine, sur la toile cirée, comme chez chacun de ses clients. Pourquoi l’Important avait-il fait revenir le marchand de charbon ?
À d’autres moments le retour des souvenirs pouvait se faire gênant.
Cela lui arrivait aux heures de fatigue et d’ennui. Lors d’un interminable conseil d’administration, il suffisait d’un visage ou d’un mot pour que la pensée du Président s’en aille vers le passé, y retrouve des trésors, et qu’il paraisse étrangement distrait.
Un soir, comme sa secrétaire lui tendait son élégante mallette de chevreau, il vit instantanément sa mère, Bernadette, dans sa blouse d’intérieur grise, qui lui tendait le seau à charbon. Il sentit dans sa main la pièce de bois lisse qui enrobait l’anse métallique. Il entendit le léger crissement du seau qui balançait sous l’anse. Il avait dû prendre un air égaré, qui inquiéta un peu. Il ne put descendre en rêve, à la cave, jusqu’au tas de charbon luisant. (Laurent Dagord, « Astapovo »)
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