Nathalie Cirac

— Je ne vois aucune âme, Chapelier.
— Pour le moment, c’est normal. Elles viendront avec la musique, je te le promets.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je les verrai, d’ailleurs ? Je suis déjà allée à plein de concerts et, jusqu’à maintenant, je n’en ai jamais observé.
— Tout simplement parce qu’en travaillant pour devenir invocati, tu développes ton niveau de conscience. De plus, tu fréquentes désormais des passeurs et nos pouvoirs sont communicatifs… Ou contagieux, si j’ose dire. Par exemple, je dégage une telle puissance que ma simple présence contribue à tes progrès.
Il affichait, malgré son assurance, un air un peu anxieux, ce qui ne me rassura pas. Doutait-il encore de mon appartenance aux Conscients ?
Les lumières furent éteintes, le silence se fit dans le public et les premières notes s’élevèrent. Je reconnus aussitôt le Requiem de Mozart ; une messe pour les morts, le choix était de circonstance. Je connaissais cette composition presque par cœur, pour l’avoir souvent écoutée avec mon père. Pourtant, aujourd’hui, j’avais l’impression d’en redécouvrir chaque note tant mon émotion était immense. Je scrutai fiévreusement l’obscurité à la recherche de ce qui aurait pu ressembler à une âme-lumière. Quelques minutes s’écoulèrent, mais je ne voyais toujours rien, malgré ma concentration. La tension me rendait de plus en plus nerveuse.
Avec subtilité, un fin rai de lumière blanche commença à tournoyer lentement le long du dôme. Puis un deuxième. Et encore un autre. Mon cœur se mit à battre la chamade : je voyais des âmes-lumières ! Et elles venaient de partout. Des dizaines d’abord. Puis des centaines, qui s’entrecroisaient dans un ballet inconstant. Leur apparence variait de l’une à l’autre. Certaines avaient presque conservé une forme humaine, je pouvais même observer çà et là un visage aux contours flous. D’autres n’étaient plus qu’un trait plus ou moins lumineux. Je me levai et m’appuyai sur le parapet de la loge, fascinée par ce spectacle improbable, splendide et effrayant à la fois.