Fille unique, l’ado avait été élevée par un père bourru, peu enclin aux joies de la paternité, vampirisé par son cabinet d’avocats véreux, ses week-ends aux champs de courses et par une mère gynécologue, femme aux courbes graciles qui n’avait pas perdu de temps pour confier son enfant aux bons soins d’une nounou afin de retourner à son travail, ses salles de sport et ses voyages. En bref, le cocon familial de Cali était vide, grimé par un compte en banque redondant en guise de cache misère.
— OK c’est bon là, on bouge ?
Cali sursauta. Perdue dans son auto-admiration, elle en avait oublié la présence de Damien… depuis combien de temps était-il là ? Elle pivota et leva son visage pour lui faire face. Il patientait les bras croisés, négligemment appuyé contre le mur. De quatre ans son aîné, Damien était son seul et véritable ami, rencontré à l’after d’un concert il y avait deux ans…
Le décès du jeune homme l’avait comme immergée dans une eau glacée, réduit son quotidien à un no man’s land effroyable de solitude sous un froid polaire. Elle avait aimé ce garçon, partagé avec lui des fous rires incontrôlables, des délires extravagants, des escapades extraordinaires. Cali et Damien c’était Bonnie and Clyde, Catwoman et Batman, Scully et Mulder… Jusqu’à ce que cette aguicheuse s’invite à la fête, s’impose telle une verrue hideuse surgie subitement au milieu de la figure. Damien, d’ordinaire si subtil, aurait dû déceler le loup mais elle l’avait possédé, privé de sa liberté, épinglé tel un papillon que l’on expose dans un cadre, jusqu’à entraîner l’inévitable.
Elle tomberait indéniablement amoureuse d’un homme beau comme un Dieu, metteur en scène ou peut-être écrivain et serait jalousée par les autres femmes dont elle n’aurait que faire. Le bellâtre , totalement sous l’emprise de sa divine personne, n’aurait d’yeux que pour elle et se plairait à réaliser chacun de ses nombreux caprices. Bien entendu, ils n’auraient pas d’enfants. Hors de question de prendre le risque d’abîmer son corps de déesse et puis elle ne souhaitait pas s’encombrer l’existence.
L’image que lui offrit sa glace fut celui d’une femme sexy à l’apparence farouche. Légèrement cambrée sur sa chaise, elle prit le temps de s’observer calmement. Les lèvres entrouvertes, les yeux fixés droit devant comme pour se défier, elle tourna sensiblement sa tête à droite puis à gauche. Satisfaite de son image, elle se leva, enfila des escarpins, ramassa ses clés de voiture qui gisaient sur le sol, alluma une cigarette et saisit à la volée une veste courte pour compléter sa tenue.
Elle n’aimait pas Christian. Elle le trouvait stupide, graisseux, méchant comme une teigne, moche et puant. Approcher ce gars c’était comme vous condamner à errer en enfer avec Satan qui vous collait aux fesses, c’était comme s’égarer dans un marais exhalant une odeur infecte d’œufs pourris qui vous massacrait les narines, c’était comme nager en pleine mer houleuse poursuivie par des harpies aux griffes acérées effectuant des plongeons en piquet pour vous lacérer le visage…
Dans un cas comme celui-ci où une aiguille dans une meule de foin aurait été plus facile à débusquer tout était bon à prendre. Parmi le peu d’éléments recueillis, un détail troublant récidivait : Cali se montrait régulièrement en compagnie d’un jeune homme élancé, de taille moyenne dont les traits affinés ne lui donnaient pas d’âge, souvent accoutré d’une casquette portant le nom d’une équipe de base-ball ou peut-être de hockey.
Certains opportunistes tentaient une main hasardeuse mal placée mais c’était à leur risque et surtout péril ! Cette femme aux cheveux noir de jais était plutôt du genre farouche et savait se faire respecter. Elle ressemblait un peu à la pute de cet hôtel de passe où il était revenu à maintes reprises en vue de la culbuter. Elle aussi allait dérouiller quand il allait la choper, il lui ferait passer l’envie de le faire languir.
La communion des peaux ne lui suffisant pas, frustrée de cette union encore trop restrictive à son goût, elle se lia à son partenaire, s’abreuvant d’un émoi ruisselant à fleur de peau, décuplé par la multiplication des deux. Pris dans l’œil du cyclone mouvementé des corps, le jeune homme entra en Lexa et se perdit dans un vertige ascensionnel. Un orgasme renversant éleva la rouquine assouvie au-delà de sa frustration.
Impatiente de retrouver son aventurier, elle avait eu du mal à se concentrer sur les maux de chacun, mais sa main experte ne l’avait pas trahie et elle était parvenue à traiter, soulager, réparer, solutionner chaque problème. Le dernier patient ayant quitté le cabinet, elle prit le temps de se refaire une beauté à l’aide de quelques retouches de maquillage léger et d’un coup de peigne dans sa chevelure auburn.
Mentir à Bazarin ne l’avait pas ravie. Cet homme était complaisant, délicat et il avait confiance en elle. Alors non, elle n’était pas fière de son comportement mais Cali lui devait des explications, elle en avait fait une histoire personnelle. Soit l’ado était disjonctée au possible, soit il allait falloir qu’elle se montre particulièrement convaincante si elle voulait que Lexa envisage de garder le secret.