Je viens de lire un livre – pas beau et pas bien écrit d’ailleurs – sur les îles Marquises, mais bien navrant lorsqu’il raconte l’extermination de toute une tribu d’indigènes – anthropophages dans ce sens que, disons une fois par mois, on mangeait un individu – qu’est-ce que ça fait ! Les blancs très chrétiens, etc., pour mettre fin à cette barbarie (?) réellement peu féroce, n’ont pas trouvé mieux que d’exterminer et la tribu des indigènes anthropophages et la tribu dans laquelle la première guerroyait (pour se procurer ainsi, de part et d’autre, les personnes de guerre mangeables nécessaires). Ensuite, on a annexé les deux îles, qui sont devenues d’un lugubre !!! Ces races tatouées, ces nègres, ces indiens, tout, tout, tout disparaît ou se vicie. Et l’affreux blanc avec sa bouteille d’alcool, son porte-monnaie et sa vérole, quand donc l’aura-t-on assez vu ? L’affreux blanc avec son hypocrisie, son avarice et sa stérilité. Et ces sauvages étaient si doux et amoureux !
Mai 1988, Arles Lettre à Émile Bernard