— Je dois comprendre que les choses sont sérieuses entre vous ?
Je soupire en laissant retomber ma tête.
— Je l’aime, Tom.
— Waouh. Depuis quand mon petit frère est devenu adulte ?
— À peu près douze ans avant toi…
Sa bouche s’ourle sur un sourire en coin.
Ça me démange le poing d’effacer son sourire obséquieux de son visage. C’est quoi le problème dans cette boîte ? Je commence à me demander s’il ne faut pas un diplôme en Fils-de-puterie pour progresser ici.
— Parfois j’aurais aimé qu’on se rencontre à un autre moment de nos vies. Parler à Peter m’a fait réaliser que je sombrais depuis la mort de mon père. Ça a été mon déclencheur. J’étais en train de glisser bien avant de te rencontrer… Tu ne m’as connu que pendant le pire moment de ma vie et j’aurais aimé pouvoir changer ça.
— Pas moi.
Avec conviction en redressant la tête pour pouvoir le regarder.
— Je suis tombé amoureux de toi à ton pire moment et j’ai pourtant eu quelques meilleurs instants de ma vie avec toi, pendant ta pire période. Alors je ne peux pas imaginer à quel point ça va être magnifique quand je pourrai profiter de ton meilleur côté.
— Je n’arrive pas à croire que personne ne l’ait su, déclare Theodore dans un souffle. Comment ne peut-on pas se rendre compte que quelqu’un est en train de s’effondrer devant ses propres yeux ?
— Comme je t’ai dit, je suis un bon menteur et un bon acteur.
— Tu n’aurais pas dû avoir besoin de l’être.
Je ne suis pas d’accord. En parlant de mes problèmes, je ne fais que rajouter un fardeau à quelqu’un. Ça n’enlève pas le mien, ça veut simplement dire que je dois regarder un autre souffrir en plus de moi.
La douleur est inévitable mais la souffrance peut être évitée.
Ça brûle un peu lorsqu’il se fait sa place et une larme silencieuse glisse du coin de mon œil. Pas à cause de l’inconfort, mais parce que je me sens complet, entier, pour la première fois de ma vie. Je réalise alors qu’il se fige pour permettre à mon corps d’épouser le sien, que nous sommes liés l’un à l’autre bien plus profondément que je ne l’avais pensé. Corps et âme. Cœur à cœur. Il est cette partie de moi dont je n’avais jamais remarqué l’absence.
Les cicatrices à mes poignets s'estompent lentement et me rappellent chaque jour que mes méthodes étaient mauvaises. J'ai alors décidé de m'ouvrir pour de bon ;
Quand on vit avec une maladie mentale, il n’y a pas de ‘et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps’ comme ce que nous écrivons chaque jour. À la place, le futur est tissé de jours radieux où l’on se baigne dans les rayons de soleil, suivis par d’autres où nous plongeons au cœur des ténèbres. Il n’y a qu’une constante, qu’une seule garantie, quel que soit le jour que nous affrontons.
L’amour.
Je travaillais dur à l’école. J’adorais mon père, mais je voulais davantage dans la vie que ce qu’il avait eu. Je voulais sortir des logements sociaux dans lesquels j’avais grandi. Je voulais une belle maison, une voiture tape-à-l’œil. Je ne voulais pas vivre avec mes rideaux fermés au cas où les huissiers de justice viendraient. Je ne voulais pas avoir à décider entre acheter de la nourriture pour le dîner et payer le chauffage.
— Peut-être bien, confirmai-je.
En cet instant, je pressai mes lèvres maladroites sur celles de Cameron et imaginai notre futur. Dans ma tête, je portais un costume hors de prix lorsque j’allais le saluer après une dure journée au bureau à son restaurant détenteur d’une étoile Michelin. Nous avions du succès. Nous étions amoureux. Sortis du placard et fiers de l’être.
Heureux.
Mais ensuite, trois jours plus tard, ma grand-mère mourut et je fus placé en foyer. Je ne pus même pas dire au revoir à Cameron avant que ma vie s’effondre.
Tout le monde meurt.
Avoir le cœur brisé, c’est voir son monde se désagréger sous ses pieds, sans pouvoir rien faire d’autre que d’attendre de plonger dans le vide.