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Citation de nicolai-drassof


— Nom d'un chien ! Je n'ai dit à personne que je venais ! Qu'est-ce que... ? Ah non ! Ils me poursuivent !
Bruno Michalon est lecteur chez Grajugalli, un grand éditeur germanopratin, ce qui signifie : Parisien puissance dix.
Il affronte chaque jour des murailles de manuscrits empilés, déjà triés par les stagiaires. Il aime son métier mais sature souvent. Ce fut le cas cette fois-ci. Il s’est trouvé capable de lire tout un ouvrage —d'habitude il procède par sondage de quelques pages ici et là— sans qu'un traître mot ne passe de ses yeux à la partie de sa cervelle chargée de comprendre. Comment juger alors ?
Un peu inquiet, il s'est donc accordé cette pause, refilant sa part de lecture de la semaine à une collègue et amie rentrée toute fraîche de vacances à Bali
Réfugié dans le plus grand secret dans sa forteresse creusoise, sans mobile, sans portable, sa douce Irvine (la Parisienne) dûment mandatée pour faire barrage à tout : téléphone, courrier, visites, il aurait normalement pu se consacrer au farniente, éventuellement agrémenté d'une belote chez Tintin, un soir, et de la lecture, tout au plus, de quelques albums de Bécassine moisissant au grenier.
Cool, Raoul !
Un vrai break, quoi.
Au lieu de ça, un coup d’œil jeté au contenu du colis lui fait découvrir une pile de manuscrits, plutôt minces mais parfaitement indésirables. Incongrus, même.
La mention de l’expéditeur est un griffonnage peu lisible, l'étiquette de la poste indique un trou inconnu dans un département qu’il n’identifie pas immédiatement. Son adresse est très correctement libellée.
Et le paquet est arrivé.
Outré du viol de son refuge-forteresse, rouspétant dans sa moustache, et soucieux d’exécuter son programme : ne rien faire — et surtout pas lire des manuscrits clandestins — il remet à plus tard de les porter à la poubelle. Il préfère s'offrir un verre de vin de pays dans ce gobelet de demi cristal finement gravé « Souvenir de l'Exposition 1900 ». Grand-père Auguste l’avait rangé en haut du buffet à l’époque. Il y est resté, servant rarement.
Il s'affale sur son canapé, objet nouveau dans le salon qui n'avait jamais contenu de « Pousse à la flemme » comme disait l'Alfred sur ses vieux jours, raide sur sa chaise.
Un murmure l'interpelle. Tiens ! La mère Arlette écoute la radio maintenant ?
Il se lève pour constater ce fait nouveau, en profitant pour humer ce qui mijote sur le gaz.
À la cuisine, le silence sert de faire valoir aux bruits de vaisselle, mais non. Pas de radio.
— Chantiez-vous Arlette ?
— Oh non ! Monsieur Bruno, heureusement ! Je ferais pleuvoir !
— N'avez-vous rien entendu ?
Arlette ne voulait pas qu'on se moquât d’elle... Mais si lui aussi entend des voix... Quand même elle est prudente :
— Je sais pas. Je crois que j'ai des accustènes , comme Germaine. Alors je sais pas si c'en est ou si on cause.
— Chut... Écoutons.
Il y avait comme une conversation, des mots confus et bas entre plusieurs personnes... Cela semblait venir du salon...
Bruno tendit l’oreille vers la table : il s’empara du carton et tout se tut.
Qu’est ce que c’est que ce bordel ! ? Il secoua les feuillets, les vida sur la table... Rien au fond, ni insecte prisonnier ni invention électronique nouvelle, mauvaise farce d’un collègue inventif.
Perplexe, attendant une explication qui ne vient pas, Bruno reste penché sur les liasses de papier. Il lit machinalement des prénoms . Chaque liasse porte comme titre un prénom, voire un diminutif. C’est tout.
Bon. Il n’y a rien. Allons ! A la poubelle.
Ou mieux, à l’incinérateur du jardin.
Muni d’un briquet, le carton sous le bras, il sort.
Tandis qu’il marche à grandes enjambées sur le gravier de l’allée, il entend nettement des plaintes, puis des pleurs, puis des sanglots et des lamentations.
Cette fois, c’est sûr. Tout ça provient de sous son bras, du carton, des feuillets écrits.
Il s’assied dans la gloriette pour examiner ce phénomène insolite. Alors, une petite voix se fait entendre parmi les pleurs assourdis et les reniflements.
— « Comment peux-tu me condamner une autre fois ? J’ai tant fait pour me sortir de la misère où j’étais. Une enfant mal née, pas au bon endroit, et j’ai tout redressé. Dans ma candeur, j’en ai fait toute une affaire, mais j’ai gagné le bonheur, du moins l’image que je m’en faisais ! Et tu veux brûler mon histoire ? Nos histoires ! Car tous ici nous avons redressé courageusement notre vie mal plantée, contourné des pièges... Nous avons gagné ou découvert la vie, nous voulons vivre ! »
Les sanglots et les plaintes reprirent, plus bas.
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