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Citation de mesrives


Cheminé neuf kilomètres sans rencontrer d’autres signes de vie que quelques foulques et petits échassiers immobiles sur l’eau sombre. Traversé la baie de Manister dont les bords vaseux brillaient encore d’un vert presque noir. Au dessus de ma tête, des corneilles mantelées – celles du manuscrit de Celse- lâchaient sur la route gelée les moules ou bigorneaux trouvés dans les rochers pour briser leur coquille. Bruit de grêlons sur le sol, coquillages tombés du ciel, confusion des règnes, miracle médiéval ! Mais elles se livraient à ce manège sans les craillements, les brusques piqués, la quérulente excitation qui d’ordinaire l’accompagnent. Tout ce bestiaire semblait saisi dans la même névrose atlantique. Le vent qui prend l’île en tenaille derrière le front des falaises m’arrivait tantôt de dos, tantôt de front, pas trop fort, assez froid pour éponger ma fièvre, charriant sa véhémente odeur d’algues, d’iode, de roseaux pourrissants.

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis?), autour de moi c’était bien ce « rien » qu’on m’avais promis. Plutôt un « peu », une frugalité qui me rappelait les friches les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce peu – en nous ou au dehors – sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.
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