AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de lanard


lanard
18 décembre 2016
Les Britanniques n'ont été que très partiellement informé des avancées du projet Manhattan, jalousement gardées secrètes par Groves. En mettant la main sur les principaux physiciens atomistes allemands, dont se désintéressent leurs alliés américains, ils tiennent ainsi peut-être une occasion unique de récupérer des informations cruciales pour la maîtrise de l'énergie nucléaire.
C'est ainsi que naît l'opération Epsilon, visant à interner les physiciens atomistes allemands dans un cottage truffé de micros. Après les terribles conditions de vie de l'Allemagne en ruine de 1945, les invités de sa Majesté qui s'installent, après être passés par la Belgique, à Farm Hall le 3 juillet 1945, apprécient le luxe de l’accueil qui leur est fait. La nourriture est excellente, la bière à volonté et tous reprennent du poids après deux années de privations. Logés en chambre individuelle, ils sont autorisés à écouter la radio, disposent d'une bibliothèque, dans laquelle von Laue rédige une histoire de la physique, et d'un piano sur lequel Heisenberg aime à jouer Beethoven. Le major Rittner vient régulièrement leur faire la lecture pour améliorer leur anglais, souvent sommaire. Pour tromper l'ennui, ils se promènent dans la roseraie, jouent aux cartes, au volley-ball dans le jardin, et, surtout, discutent interminablement de physique. Un séminaire est organisé deux fois par semaine.
L'annonce de l'explosion d'Hiroshima, comme on l'a vu dans le prologue, vient interrompre dramatiquement cette routine. Elle devient pendant plusieurs semaines l'unique sujet de conversation des invités. Le 8 août 1945, ils décident d'envoyer à la presse un communiqué, comme les y a autorisé le major Rittner. Il commence en ces termes: "Les articles parus dans la presse ces derniers jours contenant des affirmations en partie incorrectes au sujet de prétendus travaux conduits en Allemagne sur la bombe atomique, nous souhaitons vivement expliquer brièvement comment se sont développés leurs travaux sur le nucléaire." Viennent ensuite cinq paragraphes, avec chacun ses annexes. le premier rappelle la découverte de la fission de l'uranium par Hahn et Strassmann. Le deuxième mérite d'être cité intégralement, car il être à l'origine de bien des controverses sur lesquelles on reviendra au chapitre suivant. "Au début de la guerre, un groupe de recherche a été réuni, ayant pour instruction de faire étudier les applications pratiques de cette énergie. Vers la fin de 1941, les travaux scientifiques préliminaires avaient montré qu'il serait possible d'utiliser l'énergie nucléaire pour produire de la chaleur, et donc de faire fonctionner des machines. D'autre part, la production d'une bombe ne semblait pas possible, à ce moment là, compte tenu des moyens techniques disponibles en Allemagne." Les trois derniers paragraphes résument respectivement la manière dont fut organisé, à partir de la Norvège, l'approvisionnement en eau lourde, les travaux de Harteck sur l'enrichissement en 235U par centrifugation, et enfin les travaux menés sur les réacteurs de Berlin, puis Haigerloch. "Compte tenu de l'avancement des travaux vers la fin de la guerre, la construction d'un appareil produisant de l'énergie n'aurait sans doute pas pris très longtemps" conclu le memorandum.
Ce texte, qui ne sera cependant jamais publié, des atomistes allemands offre donc un résumé correct des travaux menés au sein de l'Uranverein [le cercle de l'Uranium]. En revanche, il est remarquablement mutique sur les recherches menées par d'autres acteurs, celles de von Ardenne sur la séparation isotopique et, surtout, celles menées par le groupe de Diebner d'abord sur un réacteur à Gottow, puis sur une arme en Thuringe. Gerlach et Diebner, les deux seuls à en être informés, n'ont évidement aucune intention de révéler l'existence de ce test qui a causé la mort de centaines de prisonniers. La seule mention du nom d'Ohrdruf suffirait à les désigner comme criminels de guerre. Lorsque l'armée américaine a libéré le camp de concentration, elle y a été tellement impressionnée par les empilements de cadavres, parfois calcinés, qu'une visite des généraux, Eisenhower en tête, a été organisée, et un film tourné. Alors que le monde découvre, terrifié, la barbarie des camps nazis, Gerlach et Deibner ne peuvent en aucun cas révéler qu'ils y sont associés. Le pacte secret n'est rompu qu'une fois, de manière grinçante et allusive, par Diebner, dans l'émotion collective qui suit l'annonce de l'explosion d'Hiroshima. Si l'Allemagne avait pu construire la bombe, lance-t-il, "le professeur Gerlach serait devenu obergruppenführer de la SS et se retrouverait à présent en prison [...] comme criminel de guerre".
La rédaction de ce communiqué suscite cependant de vifs débats et réactive bien des rancoeurs. "Diebner, fait remarquer le major Rittner dans son rapport, a faire remarquer qu'il avait détruit tous ses papiers, mais qu'il y avait un danger très important que Schumann ait pris des notes sur tout". Pour des raisons que les transcriptions des écoutes ne permettent pas de déterminer, Wirtz, von Weizsäcker, Diebner, Bagge et Korsching refusent d'abord de signer le texte. Mais Heisenberg parvient à les en convaincre. Le communiqué est finalement signé des dix physiciens, von Laue ayant cependant ajouté un post-scriptum dans lequel il précise "ma signature signifie que je partage la responsabilité de l'exactitude des affirmations ci-dessus, non que j'ai pris une quelconque part aux travaux mentionnés".
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}