Il avait répondu que ce carnet était son jardin secret, celui où il semait les graines de ses joies, où il faisait germer les projets de ses rêves, où il arrosait les fleurs de ses amours, celui aussi où il amassait ses plus grands doutes et chagrins, le terrain où il cultivait toutes ses intimes idées. Alex disait qu'écrire lui faisait beaucoup de bien et l'aidait à ses libérer.
« Les pièces de cet immense puzzle se sont dessinées les unes après les autres. Aujourd’hui, il est facile de les identifier et de voir la manière dont elles se sont imbriquées : l’ouverture du foyer, l’obstruction de ces jeunes, l’après-midi au lac, le tournoi de foot, la main tendue d’Alex, le point fermé d’Enzo, l’arrivée de Michelle, la lutte de pouvoir entre tous, la popularité et l’ego de chacun. Chacune de ces pièces, en soi, ne représentait rien, ou pas grand chose, mais la combinaison de toutes a été dévastatrice.
Nous aurions dû le voir, l’analyser, l’anticiper, mais nous n’avons rien fait. Nous avons été les spectateurs impuissants d’une tragédie qui s’écrivait là, sous nos yeux. C’est dingue quand j’y pense.
Ce soir-là, en mangeant, nous aurions pu changer le cours des choses, qui sait ? Mais comment ? Toutes ces questions me hantent. »
Être invisible m’a donné un incroyable pouvoir. Celui de savoir, de connaître, d’entendre tout, partout, tout le temps.
Lorsque personne ne fait attention à toi, tu deviens le roi. Les personnes qui t’entourent oublient ta présence ou, encore mieux, s’ouvrent, te livrent leurs secrets les plus intimes et leurs idées les plus folles. Après tout, ils s’en foutent puisque tu n’existes pas. On ne se confie jamais autant qu’à un inconnu qui se taira, pas vrai ? Cette attitude m’a souvent donné plusieurs longueurs d’avance sur les autres et m’a permis d’éviter pas mal de problèmes.
"Avec le recul, je sais que nous avions tous ressenti que, depuis cet après-midi du mois d'août, une mécanique subtile était à l'oeuvre ; un enchaînement d’événements que personne n'était en mesure de stopper, ni eux ni nous. La fatalité ou le destin, appelez ça comme vous voulez.
Les pièces de cet immense puzzle se sont dessinées les unes après les autres...."
Ma psy m'a juste dit que par-dessus les nuages d'un ouragan se trouvait toujours le même ciel bleu, et que dans le plus profond d'un océan déchaîné l'eau était toujours calme. Il suffisait d'attendre que les nuages se dissipent et que les vagues s’apaisent.
Ma mère a toujours vécu dans l’attente du retour de mon père. Elle n’a jamais travaillé. Il ne voulait pas. Vous voyez le tableau ! Du matin au soir, elle attendait qu’il rentre du boulot, du bistrot, qu’il rentre pour manger, pour dormir, qu’il rentre pour l’aimer. Il a tout fait, sauf l’aimer. Mon père n’a jamais été capable d’amour. Ma mère en était malade et malheureuse au point d’oublier qu’elle avait un fils qui, lui, était présent pour elle. Elle ne m’a même jamais remarqué. Top ambiance !
Il m’avait regardé de haut en bas, puis de bas en haut. Ses yeux me scannaient, m’évaluaient, me défiaient. Lorsqu’il les a plantés dans les miens, j’ai soutenu le regard. Règle numéro deux : ne jamais me laisser intimider en arrivant, sinon c’était le début de la fin. Nous nous sommes toisés durant plusieurs longues secondes. Jamais je n’ai baissé les yeux. Il a rompu le contact en premier avant de repartir en haussant les épaules. Je me souviens de la saveur de cette première victoire.
J’allais devoir faire mes preuves avant le jugement et j’avais un tout nouveau toit au-dessus de la tête. Plus besoin de dormir dehors ou de squatter à droite et à gauche chez des potes. Plus besoin, non plus, de retourner à la maison. Personne ne m’attendait là-bas, de toute façon. Les seuls qui allaient veiller sur moi, à ce moment-là, c’étaient les éducateurs… et les autres.
J'avais entraperçu un des côtés les plus noirs de certains jeunes qui, comme moi, avaient été meurtris par la vie. Des mecs paumés, sans repères moraux ni affectifs. Je ne cherche pas à les dédouaner, mais quelque part, je peux comprendre certaines de leurs émotions, de leurs réactions, sans pour autant les excuser.
... ce carnet était son jardin secret, celui où il semait les graines de ses joies, où il faisait germer les projets de ses rêves, où il arrosait les fleurs de ses amours, celui aussi où il amassait ses plus grands doutes et chagrins, le terrain où il cultivait toutes ses intimes idées.