Mais surtout, si je les déteste, les chasseurs, c’est parce que tous les soirs je suis obligé de raconter cette saloperie d’histoire de grand cerf.
Je la hais, cette histoire. Elle me rend dingue. Il n’y a pas plus con que cette histoire, plus sombrement, plus radicalement con. Et en plus, il faut la chanter, cette histoire. Et se farcir les gestes. Car il y a des gestes à cette saloperie. J’aimerais tenir entre mes poignes l’infâme et sirupeux chef scout qui a inventé cette immondice abrutie, lui faire comprendre sa douleur à ce coroner des bacs à sable, ce tocard en short, sans nul doute souriant lascivement sur les pochettes de ses 33 tours illustrés par les manchots de la littérature enfantine, arborant une guitare ou un banjo dont il extirpe péniblement trois accords, qu’il planque sous des tonnes de « youkaïdi-youkaïda » et de « youpla-boum » ineptes.
Moi, je ne demanderais pas mieux de raconter des histoires à mon fils. (…) Tous les soirs, je peaufine une petite légende de mon cru, quelque chose de magnifique, et je me fais rembarrer comme un malpropre : non papa, raconte plutôt Le gand cerf. (p.29-30)