Une fois le titre de cet ouvrage choisi, je me suis rendu compte après coup qu’en parlant du « sol qui penche », j’avais convoqué sans m’en rendre compte le souvenir d’une sensation précise, remontant au souvenir d’un séjour à Berlin, où j’ai été pris d’un début de malaise, sans comprendre tout de suite ce qui m’arrivait. Les points de repère autour de moi – sept fois sept stèles de six mètres de haut – n’étaient pas tout à fait d’équerre, quelque chose clochait insensiblement dans leur alignement. Le sol était incliné, les stèles pas complètement à la verticale, et dans l’espace extérieur rectangulaire composé de quarante-neuf colonnes où j’ai déambulé, rien n’était à angle droit. Mon équilibre n’était pas vraiment menacé, mais j’avais le sentiment que mon esprit et mon corps ne parvenaient pas à se synchroniser. Cette sensation, je l’ai eue en visitant Le Jardin de l’exil, monument de l’architecte Daniel Libeskind, installé au musée juif de Berlin, dont l’agencement visé délibérément à provoquer cette impression de ne pas être à la maison. Les sens sont perturbés, le cerveau carbure pour tenter de traiter la modification déroutante des données géospatiales, le corps et l’esprit turbinent en une tentative à peine consciente de compenser le déséquilibre ambiant. Par moments, en m’enlisant dans la langue anglaise et en perdant mes repères dans ma langue maternelle, c’est un peu ça que j’éprouve.