Dans un café parisien, début 1997. Deux hommes au comptoir ; L’un lance à la ronde une bonne histoire : « Savez-vous la différence entre une femme et une poubelle ? Non ? Eh bien, il n’y en a pas. On les remplit pendant la semaine et on les sort le week-end. » Réaction d’une cliente, qui ne « consentait » pas à ce qu’on place les femmes hors des limites de l’humain : « Oui… et c’est quoi, les ordures ? » Silence stupéfait de l’orateur. Il n’y avait pas pensé…
Aux ethnologues qui se posent, à juste titre, des questions sur une certaine pratique de l’anthropologie, je peux seulement répondre que je ne saurais « défendre » aucune société, culture, option ou idéologie (fût-elle minoritaire d’un certain point de vue) dont la survie en l’état, le « progrès », la « modernisation » ou l’expansion dépendrait de l’oppression des femmes ou l’aménagerait
Or, la violence contre le dominé ne s’exerce pas seulement dès que « le consentement faiblit », elle est avant, et partout, et quotidienne, dès que dans l’esprit du dominant le dominé, même sans en avoir conscience, même sans l’avoir « voulu », n’est plus à sa place
Penser plus ou moins implicitement le sexe en termes de catégories réifiées, closes sur elles-mêmes, refuser de voir qu’elles se définissent à chaque fois dans un système de rapports sociaux, amène d’abord à leur conférer des attributs généraux (articulateness, inarticulateness), et à parler en termes de contenu : modèles, représentations, symbolisme propres à chacune ; ensuite à fixer ces attributs et ces contenus comme différents, voire opposés, pour chacune, la réification se fondant sur la différence biologique : les hommes et les femmes auront « naturellement » des comportements, des raisonnements différents, des visions différentes de soi et du monde
la violence « idéelle », celle des idées légitimant la domination, n’est pas présente en permanence dans la conscience des femmes (dans l’esprit du dominant, oui). Pour la dominée, c’est la violence dite ici factuelle qui est permanente
Étant donné qu’une valeur est invoquée en situation, expérimentée dans une situation concrète, si elle apparaît dans un contexte d’oppression, un rapport effectif de pouvoir, la valeur prétendument générale et commune aux deux parties n’aura pas la même coloration dans la conscience (et plus grave dans l’inconscient) pour le dominant et le dominé, car les effets concrets qui accompagnent l’utilisation de cette valeur par le dominé sont des effets de limitation, de pauvreté matérielle et/ou de pauvreté mentale
mais il faut comprendre l’enjeu véritable de cette sensibilité aux mots (sensibilité particulièrement développée chez les minoritaires) : ce qui est attaqué là, c’est l’utilisation généralisante, totalisante (pour ne pas dire totalitaire) de termes qui empêche certains faits concernant les minoritaires d’accéder à la théorisation de la société
rendre visible l’oppression des femmes à travers la construction même de la différence sociale des sexes
que des sociétés s’appuient sur la différence des sexes dans l’ordre de la reproduction pour créer des différences dans l’ordre social ne doit pas entraîner à penser que la cause en est dans la différence biologique
l’observation hallucinée de l’amplitude de l’oppression des femmes