Ces iris qui lui tournaient la tête. Ces grandes fleurs violentes à gueule bleue seraient la première image, le tout premier mouvement de sa mémoire.
À Jeanne, on ne disait jamais comme aux autres petites filles : "Un jour, quand tu seras grande." Comme si elle allait rester, à jamais, une Jeanne de dix ans.
Pas le crawl, Jeanne, lorsque le corps s'épuise, tu le laisses aller à la violence de l'eau, tu t'économises. Tu y vas. Brasse coulée, Jeanne, il faut tenir la vague, se laisser porter. L'accompagner.
Jamais sous les bananiers, Jeanne, c'est plein de serpents minute. Ils se coulent, verts comme les feuilles, tu n'as pas le temps de les voir que, déjà, ils t'ont mordue.
La vie se chargera bien de te dresser, ma petite fille. Je te souhaite d'avoir un jour des enfants qui te ressemblent. Ce sera ta plus grande punition.
Tu as l'air d'une poule qui se prend pour un paon.
Toute la vie de Jeanne n'avait été qu'une longue, qu'une interminable sieste avec ces gestes de femmes, ces voix retenues par la chaleur.
Entre ciel et herbe, on tendait une toile et montait jusqu'au vertige l'odeur des fleurs invisibles, fermées pour la nuit.
Si jolie que sa mère en était jalouse. Pour qu'elle ne lui fasse pas de l'ombre, elle l'habillait comme un sac...
Jeanne avait parfois, elle s'en étonnait elle-même, des gourmandises si violentes qu'elles lui faisaient mal, des rages soudaines qui l'emportaient, la soulevaient comme une tornade, la laissant ensuite épuisée, somnolente de tristesse.