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Citation de Charybde2


Dans ce café, quelques semaines avant le scrutin qui amènerait Mitterrand au pouvoir, Lazar évoqua pendant un long moment les liens de l’ultradroite collaborationniste avec une grande part des figures de la IVe et de la Ve République. Les noms que j’entendais de la bouche de Lazar, je ne me rappelais pas les avoir déjà entendus, Albertini. Corrèze. Schueller. Soulès, rebaptisé Abellio. Les un avaient bâti des empires dans les affaires, d’autres avaient opté pour la carrière littéraire ou les arrière-chambres de la politique, mais tous avaient en commun d’avoir activement servi la collaboration et bénéficié, au lendemain de la guerre, d’une justice conciliante. J’avais trente-et-un ans. Lazar parlait de ces choses sans passion, à froid, comme de simples éléments du réel dont on pût seulement regretter qu’ils ne fussent pas mieux connus. Ce qui était important, de son point de vue, c’était de mesurer la solidité de la structure, son aptitude à tout digérer, à nourrir et à canaliser l’effarement. Plus on maintient l’effarement à son point de fusion – dès lors qu’on a fait le pari que les masses sont avant tout vouées à l’effarement et à l’inertie -, plus on maintient artificiellement en vie le sentiment de dignité. D’existence. Malgré son peu d’estime pour le candidat socialiste, il ne l’accablait pas. S’il arriva à Lazar de se montrer méprisant cet après-midi là, ce fut à l’encontre de ceux qui, dans la presse, menaient leur combat sur le socle du manichéisme. Que ces individus soient incapables d’exprimer la misère de leur posture, qu’ils prêtent à leurs adversaires les pires vices, et, plus drôle encore, qu’ils imaginent sortir du processus sans avoir été fondamentalement corrompus – c’est-à-dire fondamentalement corrupteurs -, cela lui arracha un ou deux sourires d’une amertume glaçante. Ses yeux étaient bleus, clairs. Plusieurs fois, j’eus le sentiment que mon propre regard se perdait dans la fissure qui passait entre ces yeux, cette ligne creusée au-dessus du nez et qui montait jusqu’à son front.
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