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Citation de Charybde2


Il est difficile, aujourd’hui, de comprendre les incertitudes de l’époque. Nous étions tous déçus. Beaucoup estimaient que s’ils voulaient survivre, un changement devait s’opérer. Quelques années après les troubles, Lazar consacra plusieurs jours à la relecture de ses notes. Il fut étonné de l’écart entre la conception qu’il se faisait désormais de son passé et les événements de son passé réel, rapportés aussi fidèlement que possible de sa propre écriture. C’est peut-être que, se dit-il, à la longue, tout ce qui est arrivé à l’un est arrivé à l’autre. Il y a des gens qui racontent leur vie, et ils la racontent toujours de la même manière. Cela signifie que le souvenir a disparu. Seule reste une histoire que l’on récite par coeur. La conviction s’imposa à Lazar qu’il fallait aborder chacun de ces moments sans préjugés, les isoler des systèmes explicatifs construits autour d’eux.
On pouvait reprocher un certain nombre de choses à Lazar. Oublieux des gens qui l’entouraient, capable de se montrer insultant, grave : c’était l’image que le temps avait contribué à forger. Tous les témoins, cependant, auraient dû s’accorder sur le fait que Lazar constituait une unité plutôt accueillante et activement disjointe. Beaucoup de ceux qui éprouvaient de la méfiance à son égard diront que je me suis trompé. Peut-être produiront-ils des preuves pour contredire ma version des faits, mais toute histoire présente de multiples faces. Lazar pensait simplement que les phénomènes de l’esprit étaient pareils aux autres – des phénomènes qui n’avaient rien d’inviolable et que nous ne devions pas renoncer prématurément à comprendre – même si une meilleure compréhension de leur essence était susceptible de troubler ce que nous considérions comme le plus personnel dans ce qui fait de nous les personnes que nous sommes persuadés d’être. Je me rappelle être allé avec lui dans une boutique crasseuse au fond d’une cour. L’homme qui tenait cette boutique avait une armoire remplie de souvenirs nazis. Il développait une mythologie originale et parfois extrêmement artificielle, construite à partir d’échafaudages sophistiqués. En vérité, presque toutes ses citations étaient apocryphes et n’apparaissent nulle part dans les textes originaux. Murs, sol, plafond. Autour de nous, tout était nazi. Et cet homme construisait des choses. Il avait un liquide qu’on pouvait se verser sur le corps et enflammer sans que la peau se mette à brûler.
Ce soir-là, Lazar a prié avec nous. Il avait dîné quelque part, pas en notre compagnie. À la fin du shabbat, je l’ai aperçu de nouveau, à l’écart, recueilli. Ses doigts s’étiraient de manière délicate, des cils étrangement longs donnaient à ses yeux une expression lointaine.
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