Hors d’Angleterre, au contraire, ces mêmes arts mineurs sont exercés par des artisans et par une classe de gens intermédiaires entre les artisans et les véritables artistes, la classe des peintres décorateurs. Les premiers artistes du pays se désintéressent des arts décoratifs ou les dédaignent; les artisans et les peintres décorateurs sont ignorants, manquent d’initiative, et s’ils en ont par extraordinaire, ils ont par contre, à cause de leur condition inférieure, peu de chance de voir leurs efforts secondés; s’ils ont du goût ils choisiront parmi les modèles des styles qu'ils ont pu étudier, parmi les styles d’époques écoulées, celui qui est le mieux en rapport avec leur tempérament, et toute leur vie ils s’efforceront de se rapprocher autant qu’ils le peuvent de l’esprit de cette époque artistique préférée ; ils passeront ainsi leur vie en vains efforts et en produisant un travail sans intérêt, parce que, comme je l’ai déjà dit, il est absolument impossible de faire revivre l’esprit d'une période artistique et parce que ce ne serait jamais d’ailleurs qu'un travail inutile, cet esprit ne pouvant pas se trouver en concordance avec nos besoins, nos aspirations et nos souhaits modernes.
REGARD D’AMOUR
Quand te vois-je le mieux, ô bien-aimée?
Lorsque dans la lumière, les esprits de mes yeux
devant ta face, leur autel, célèbrent solennellement
le culte de cet amour que tu m’as fait connaître?
Ou bien aux heures du crépuscule — alors que seuls tous deux
étroitement embrassés, dans l’éloquence de nos silencieuses réponses
par instants brille ton visage caché dans la pénombre
et que mon âme voit ton âme être la sienne.
Ô amour, mon amour! Si je ne devais plus jamais te voir,
ni voir sur la terre ton ombre,
ni l’image de tes yeux dans nulle fontaine,
combien tristement résonnerait sur la pente assombrie de la vie
le tourbillon des feuilles mortes de l’espérance,
et le vent des ailes impérissables de la mort.
Si nous recherchons la cause première de cette supériorité évidente de l’art décoratif anglais, nous la trouvons dans ce fait que les arts improprement appelés arts mineurs et les arts majeurs ont été exercés en Angleterre par les mêmes hommes : ce sont les premiers artistes de l’Angleterre, les Rossetti, les Burne-Jones et les William Morris qui, en reconnaissant ces arts mineurs aussi dignes de tenter leurs efforts et leur travail que les beaux-arts proprement dits, et en y appliquant la marque de leur talent et de leur génie, ont opéré cette transformation complète, cet épanouissement magnifique des arts décoratifs en Angleterre.
Pour celui à qui il a été permis d’étudier avec soin et de comparer le mouvement artistique de ces dernières années en Angleterre et dans les autres pays que je mentionnais plus haut, la supériorité de l’Angleterre ne peut en effet être mise en doute. En aucun autre pays nous ne voyons un renouveau aussi artistique, des innovations aussi heureuses, répondant aussi bien aux besoins de la vie moderne, d’aussi parfaits chefs-d’oeuvre dans les différentes branches des arts industriels.