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Citation de enkidu_


Revenons à la manière dont nous avons formulé tout au départ cette loi de l’universalité de la mémoire chez les grands hommes. Nous avons dit que ce qui est disparu depuis longtemps leur était aussi vrai que ce qui vient de se passer. Cela signifie que l’événement ne disparaît pas nécessairement avec la fraction de temps dans laquelle il se passe et en même temps que celle-ci, mais qu’il peut en être arraché – par la mémoire précisément. La mémoire rend les événements de la vie intemporels ; elle est, ne serait-ce que dans son concept, victoire remportée sur le temps. L’être humain ne peut se rappeler son passé que parce que sa mémoire le libère de l’emprise du temps, et alors que partout ailleurs, dans la nature, les événements en sont fonction, les élève dans l’esprit au-dessus de lui.

Mais ici, une difficulté se dresse. Comment la mémoire peut-elle inclure une négation du temps, alors qu’il est certain que nous ne saurions rien de celui-ci si nous n’avions de mémoire ? Seul le rappel du passé saura jamais nous faire prendre conscience du fait que du temps s’écoule. Comment, de deux choses aussi dépendantes l’une de l’autre, la première peut-elle être l’antithèse, en même temps que représenter le dépassement, de la seconde ? Cette difficulté est facile à résoudre. C’est précisément parce qu’un être lorsqu’il est doué de mémoire – et ceci est valable non seulement pour l’être humain, mais pour tout être – n’est plus inséré dans le temps, et que les événements qu’il vit ne le sont plus non plus, qu’il peut s’opposer à ce flux et à cette fuite du temps, et considérer le temps et son contenu comme un objet propre à être conçu. Si l’on ne pouvait, par la mémoire, sauver du temps les événements de sa vie, si ces derniers se transformaient et « variaient » avec lui et si l’homme restait prisonnier de leur temporalité, ces événements ne pourraient plus le frapper, lui-même ne pourrait plus en devenir conscient – la conscience supposant la dualité – il ne pourrait plus y avoir transformation de ce qui se passe en objet, en pensée et en représentation de l’homme. Il faut avoir vaincu le temps pour pouvoir réfléchir sur lui, être en dehors de lui pour pouvoir le considérer. Cela ne vaut pas seulement du temps particulier – on ne peut méditer sur la passion dans la passion elle-même, il faut en être sorti – mais également du concept général du temps. S’il n’y avait pas d’intemporel, il n’y aurait pas de représentation du temps. (pp. 115-116)
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