Au plan économique, le pays industrialisé ne jouit plus de la moindre autonomie, sa dépendance à l’égard du monde extérieur étant, paradoxalement, d’autant plus grande que son niveau de développement technico-économique est plus élevé. Non seulement il doit toujours importer pour pouvoir produire (notamment des matières premières) et exporter une fraction souvent importante de sa production (en particulier pour amortir les lourds investissemnts qu’impliquent les technologies modernes), mais son niveau de développement dépend pour une bonne part de ses activités extérieures et de ses investissements à l’étranger.
(…) Rien de ce qu’il possède n’est définitivement acquis. Ainsi ne peut-il conserver ce qu’il a qu’en s’employant à acquérir davantage. Et il ne peut demeurer ce pays « développé » qu’il est devenu qu’en se transformant.
Même certains de nos penseurs qui, hier, attendaient plutôt la révolution du prolétariat pour que s’instaure leur idéal social (il est vrai que leur attente s’est révélée vaine), comptent désormais davantage sur celle que va réaliser le microprocesseur. Ainsi, avec un identique optimisme, des intellectuels de toutes tendances évoquent-ils l’avenir qui se prépare, grâce aux travaux de chercheurs et de techniciens concentrés en quelques points du globe.
Mais il n’est plus possible de toucher à la division en classes qu’a imposée notre mode production (l’intégration économique, on le verra, interdit à la nation industrialisée de songer à de véritables réformes sociales), ni à la division du monde en Etats-nations dont les uns dont industrialisés et les autres sous-développés, car cette organisation conditionne l’accumulation capitalistique qui s’effectue au profit des premiers, leur donnant les moyens de financer des progrès dont le coût ne cesse de croître. On ne voit pas comment de nouveaux progrès pourraient apporter une solution au problème le plus urgent à résoudre : faute de quoi l’humanité demeurera dechirée, avec des moyens techniques d’une croissante efficacité pour s’autodétruire.
Le développement ne peut être que la réalisation progressive d’un double potentiel : d’une part, le potentiel que représente toute collectivité humaine et tous les individus qui la composent, d’autre part, celui que constitue le milieu physique dans lequel se trouve cette collectivité, un milieu qu’elle utilise pour assurer son existence et préparer celle des générations à venir.