Caresse moi dans le sens de ton souffle.
Celui du goût,
De la couleur
De ton baiser.
Rouge vent,
Blanche bise,
Verte brise
Ou simplement marine,
Dans tes yeux d'opaline.
M'amarrer une dernière fois,
Puis trancher les cordes
Qui me tiennent à la Terre,
Naviguer sans boussole
Sur tes vagues salines.
Ne jamais revenir.
On pourrait se donner des frissons de vide
On pourrait combler le manque de nous en tendant juste les bras
On pourrait fermer les yeux
- Pas trop tôt s'il fait minuit aux paupières closes -
Le soleil illumine en lambeaux de flaques
Les milles gouttes de sa froideur
Ne pas mourir ainsi est essentiel à vivre
Dehors les nuits s'enchaînent qui délestent les mains
Qui détachent les doigts qu'on croyait serrés
Les gelées repassent en cheminée blanchir un peu le vent
La mer du Nord est morte pendue dans ses canaux
Mais il n'en fallait qu'une pour rester immobile
- Sous la vague se préparent des présages qui annoncent oracles de dés espoirs -
Allons nous promener aux confins de nos rêves
Tout au bord du possible
A sa frontière même
S'il faut en piétiner les interdits
Il ne sera pas dit qu'en transgression
Qu'en songes
On habille de fête mille et mille mensonges
Qu'importe au fond le verbe
Le goudron reflétait ses lueurs de givre,
vitrines d’insomnies aux lèvres déchirées
par les relents d’alcool ,
des oriflammes noirs brûlaient
sous les fanaux des trains lancés
tous feux éteints.
On s’enrhumait, automne oblige, aux portes des bordels.
Moi, j’étais en partance,
la peau de notre amour inoculée de pluies,
et des traces de toi,
qui n’en finissaient pas, salopes, de me regarder pourrir.
Prosélyte incrédule d'un monde de mensonges.
Tu le sais bien, nos banlieues n’étaient pas navigables
et pourtant nous allions,
fiers et inconscients,
en suivre les lumières clignotantes,
et croire découvrir des routes nouvelles
qui mènent à l’océan.
J’ai dérivé longtemps de galères en tournées pas payées,
tour à tour marin bourré, puis paumé, seul, sur le quai,
sur des embarcadères qui étaient mon voyage.
J’ai appris la misère, les saisons qui ne veulent pas crever,
puis le temps des migrants de l’été,
quand mon coeur éclatait des abcès du soleil.
J’ai perdu tant d’amis,
j’ai vu mourir les vagabonds aux doigts de lierre et de crasse,
fumée grise hirsute entre leurs yeux
qui s’envolaient comme la brume,
emportant avec elle et la faim et le froid.
L’amour tu sais, c’était si loin
qu'il y avait longtemps qu'il s'était fait la malle
avec les souvenirs de leurs gosses.
J’en ai vu un partir dans un éclat de rire,
crachant de ses trois dents, sur son canasson de misère,
le son qui défiait dieu de son harmonica.
Et dire qu’il jouait juste,
à passer dans la vie comme on lit un bouquin
ou il manquait des pages,
ou rien n’avait plus cours que le poids de leur sang,
inaudible ressac qui venait dans leurs tempes.
Tu sais, ça pèse pas lourd une tâche de sang.
Si tu savais combien j’ai vu fleurir
de ces plantes toxiques qu’on appelle l’orgueil,
poison vorace et fou qui suintait du béton,
anesthésier le beau, la terre, et faire pleurer la lune
les nuits ou, à genoux dans le gel,
nous cherchions la vérité, ou simplement un regard.
J’en ai bouffé d’espoir,
des lendemains chauffés, dorlotés,
de ces journées légères,
quand mes godasses trouées jouaient à la marelle
avec les flaques d’eau et les cristaux de gel,
sous le regard moqueur des montreurs de lumières
et des villes la nuit,
là ou vibrent d’étranges carnavals,
ou s’alignent, mauvaises, des ombres inquiétantes
au bord des caniveaux.
Marée salée et haute, parfois quand nous avions
de quoi allumer les bougies de nos magies, blanches ou noires,
selon l’odeur de nos fringues,
je chialais les marchands de rêves
et les sorciers perdus dans le fond de mon désert.
Sans illusions.
Cendrillon s’est mariée, putain, c'est mort,
elle vit en HLM,
les sorciers prennent le métro, pas le choix,
sous le poids de leur âge qui les plie plus encore
à chaque vent qui passe.
Dire qu’on cherchait encore au fond de nous,
entre deux bouteilles, les pièces du chapeau,
celles du château en cartons ou nous dormions, puants, gluants
mais la gueule pleine de rêves,
l’espoir de retrouver un jour l’enfant propre et rieur
qui dansait dans la mer,
traversait les ruisseaux
laissant tous les oiseaux
sourds et muets de tous ses éclats de rires.
Oui, je demeure,
comme un oiseau qui ne veut pas voler,
parce que le nid est chaud,
parce que le nid, même si je suis seul dedans,
est encore plein des bruits de mon enfance,
du goût et de son odeur.
Tu sais, l'enfance,
cette saloperie de maladie qu'on traîne toute la vie,
et dont on ne guérit qu'une fois,
pour l'éternité.