Pascal Quignard

CHAPITRE PREMIER


Extrait 1

      J'aime les livres. J'aime leur monde. J'aime être
dans la nuée que chacun d'eux forme, qui s'élève, qui
s'étire. J'aime à en poursuivre la lecture. J'éprouve de
l'excitation à en retrouver le poids léger et le volume
dans l'intérieur de la paume. J'aime vieillir dans leur
silence, dans la longue phrase qui passe sous les yeux.
C'est une rive bouleversante,  à l'écart du monde,
qui donne sur le monde, mais qui n'y intervient en
aucune façon. C'est un chant solitaire que seul celui
qui lit entend. L'absence de son externe,  l'absence
totale de tapage,  de gémissement,  de huée, l'éloi-
gnement maximum de la vocalisation et de la foule
des humains que les livres permettent, ramènent une
très profonde musique qui a commencé avant que le
monde apparaisse. La vraie musique peut-être la relaie
elle aussi dès lors qu'elle est écrite.
…

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