La première heure
Difficile à croire, mais je suis vivant.
Je n’ai même jamais été aussi présent.
Aussi clair.
Je vois tout.
Roger qui jure et marche de long en large, engueule les gars un par un.
Le corps en pleine rue, sur l’asphalte, le casque près de la tête, un outil entre les deux – le niveau, fêlé. Du liquide s’en échappe.
Martin qui arrive en courant, qui écarte Max et Vidal. Qui s’agenouille sur le gant, place son oreille tout près des lèvres, ne sent rien. Qui cherche le pouls à la gorge, pas de pouls. Il ouvre la chemise, les boutons volent en tous sens. La tache rouge, sur la poitrine, lui fait peur. Plusieurs côtes sont molles, peut-être brisées. Il hésite. Il se décide. Il relève le menton, tâte l’intérieur de la bouche, donne deux bouffées d’air, s’écarte, se repositionne, puis ose presser – mains jointes, coudes droits. By the book. Son assurance m’étonne, lui qui est si timide.
Il s’acharne. Patiemment, rythmiquement.
Malgré tout, les lèvres, les ongles bleus, la joue blanche.
Roger fait les cent pas
guette avec angoisse le bout de la rue, l’ambulance, l’ambulance, l’ambulance ?
Enfin.
Enfin, gueule Roger en levant les bras au ciel.
Martin cède sa place
il s’essuie le front
va s’asseoir tout seul, à l’ombre, dans un coin
les ambulanciers déballent leurs appareils
soulèvent les paupières
un œil bleu, l’autre noir, mauvais signe
poussent un tube dans la trachée
ouvrent une veine dans le bras
y injectent quoi ?
l’adrénaline
puis
plus rien.
Nulle part.
Salle verte
trop éclairée.
Des hommes, des femmes, gantés, masqués
du métal
des draps tachés
des murmures.
Le visage gonflé, le crâne rasé
le cou dans un corset
un bras dans une attelle.
Le sérum coule goutte à goutte.
Sur les gouttes, le reflet des néons, leur trace d’escargot.
Les vêtements verts, leurs plis comme des montagnes des vallées
la trame du coton, son usure.