Patrick Autréaux

Je revenais les écouter et penser avec eux. Ils étaient mes amis, selon cette amitié pour un livre qui embrasse son auteur, et formaient dans la volière mentale, où lévitent les êtres et les livres aimés, une coalition qui me veillait: issus d'autres temps, d'autres mondes, d'autres langues, ils se relayaient en la religion sans dogme et sans croyance que secrètent ces voyages où on touche à plus que soi. Ils ouvraient l'incommensurable du savoir qui surgit lorsqu'on est dévasté par la vie, par les autres, par l'effroi, et dégageaient une force semblable à celle des inconnus aux urgences; mais parce qu'elle filtrait au travers des livres, elle ne me pétrifiait pas; comme celle des chevaux de Cranach, je la faisais mienne par le miroir détourné de l'art. (p. 43)