Patrick Deville

Je voyais la beauté de la foule indienne sous le soleil, les teintes des saris émeraude ou fuchsia comme un peuple d'oiseaux dans la forêt verte. Chaînette nasale des femmes scintillant d'or ouvragé de la narine gauche à l'oreille. Coupe élégante du vêtement des hommes, de la dhoti et du gilet sans manche de la Nehru's jacket. Sur tout ce spectacle la lumière comme une coulée de miel, la paix malgré le vacarme et la maigreur des mendiants, la proximité des statues aux colliers de fleurs fraîches, la spiritualité où tous baignaient au seuil des temples et des églises et que chacun semblait porter en soi, celui qui le matin après une prière catholique avait allumé un bâtonnet d'encens, un autre après la cérémonie hindoue de la "puja" qui avait dessiné à la poudre colorée un mandala sur le seuil ou offert une galette chapati à la première vache croisée dans la rue. Et dans ce Kerala, au milieu de la ferveur et des dieux multicolores, partout les drapeaux rouges des communistes au pouvoir, et souvent le portrait du Che Guevara au béret étoilé dont le souvenir semblait vivace.

p. 168-169