Perf et Fracas, Patrick Dubost
Dessine-moi un poème
Voici un recueil tout mignon, avec des poèmes qui débordent d'amour et d'affection, écrits à la main par un môme pourrait-on penser, sauf que Armand Le Poête, c'est Patrick Dubost (lire notamment de lui "Le corps du paysage", présent sur ce site).
Ce livre est touchant de tendresse, avec de vraies interrogations d'enfant (et d'adulte) à travers des petites histoires. Beaucoup de gravité et de profondeur dans cette apparente naïveté, de quoi donner un charme particulier aux textes et pousser le lecteur à méditer sur les vérités qu'ils contiennent.
On y retrouve en prime les fautes d'orthographe volontaire, l'écriture manuscrite maladroite, les petites fleurs dessinées, les ratures et les petits caractères... autant d'ingrédient qui font de cet ouvrage un petit bijou pour lequel j'ai éprouvé un vrai coup de coeur.
"L'amour et la mort
sont dans un bateau.
l'amour tombe à l'eau
la mort rentre au port"
Le grand Tout partout…
Le grand Tout partout
La fin d’Tout
Le fourre-tout & L’urne funéraire
Le funambule au funérarium
Le croque-mort anorexique
Le tueur du Mexique
L’amoureux toxique
On
ne
dit
jamais
"je"
on est
ce que l'on
dit que l'on est
et ce que l'on dit
ne ressemble à rien
on est ce rien
que l'on dit cette
musique on est
le vent qui ne dit rien
sinon qu'il met un peu
de musique un peu
de désordre dans
la tranquillité on est
tranquille avec le vent qui file
1223
" Rien de plus doux que le regard d’une huître"
dit un oiseau surpris en plein vol
dont le nom se perd dans
un recoin du ciel.
extrait 2
Article 19
Le théâtre ne s’interdit pas de donner à voir.
Le théâtre ne s’interdit pas de donner.
Le théâtre ne s’interdit pas.
Le théâtre ne.
Le thé.
Les gâteaux.
Le temps qui passe.
Article 33
Un texte inachevé
remet en question
l’équilibre du monde.
Article 38
Ce qui nous réunit au théâtre,
c’est qu’on n’a pas à tourner les pages.
Pour ne pas mourir 1
39
La beauté fracassée partout pour ne pas mourir.
40
On tombe amoureux tous les cent mètres, depuis l’enfance, pour ne pas mourir.
41
On aime ses enfants plus que tout au monde tandis qu’au fond une petite voix murmure en grinçant que c’est pour ne pas mourir.
)oui( )j'ai le sentiment d'exister un peu plus lorsque je bouge( )comme si le temps n'était que la conséquence de nos mouvements( )comme si nos mouvements fabriquaient du temps(
extrait 1
J’ai perdu, autrefois, mon passé dans un dé à coudre. J’avais à tisser les vêtements de toute une vie. Tissant, je racontais ma vie. Je suis mort avant de commencer à vivre. L’avenir est tout ce qui n’est pas au fond de ce dé à coudre.
(Dé n°33.)
Ai-je lutté pendant des siècles contre la folie ? Avec du sang dans les bronches ? Du sang dans les yeux ? Du sang dans les oreilles ?
…
Ce mot sans même la musique…
Ce mot sans même la musique.
Quand on en serait encore à chercher la musique sous
l’image, se disant que plus tard, peut-être.
Se disant que plus tard on aura encore la seconde moitié
d’une vie pour chercher plus loin.
Dans un cimetière aux mille portraits.
Un fatras dans lequel tout finit par s’entendre.
Un fatras qu’il nous faut ramener en deux dimensions.
Une partition, confuse, dont le texte explicatif est perdu.
Flottante un peu comme un souvenir dont le texte est perdu.
Les allées d’un cimetière qui s’entremêlent indéfiniment
jusqu’à se confondre sur l’horizon.
J’ai perdu la partition d’une vie.
Avec certains de mes souvenirs, tombés de mes poches,
en marchant.
J’ai perdu toute une vie à tenter de l’écrire en partition.
Mais je n’ai rien perdu à tenter d’écrire ma vie.
J’ai écrit ma vie entre les silences.
J’ai sculpté une vie étayée de silences.
J’ai fait de ma vie un grand silence.
Pour ne pas mourir 3
45
Les mères veillent sur leurs enfants pour ne pas mourir.
46
Tout voir, ou ne rien voir, et ne jamais voir à demi pour ne pas mourir.
47
Je rentre chez moi, je ferme à double tour, je me roule sous une couverture, les côtes me serrent, je vomis par tous les pores, j’avale ma langue, je crache mes yeux, je fais « tout » pour ne pas mourir.