" - Pourquoi êtes-vous ici, alors?
Barry sentit ses poings se serrer. Doux Jésus, elle était belle.
- Parce que...
Elle avança vers lui en claudiquant et le regarda dans les yeux.
- Il y a quelque chose chez vous, Barry Laverty - et ne me demandez pas quoi -, que j'aimerai connaître davantage, je pense.
- Vraiment? demanda-t-il alors que ses poings se détendaient. Le pensez-vous?
- Je ne serai pas ici dans le cas contraire. Et il m'a simplement semblé que si vous n'alliez pas me téléphoner, je devais venir vous voir."
- [...] C’était une sacrée soirée d’au revoir, hier.
Barry rit et se demanda combien de pintes de Guinness son mentor avait avalées la veille. Ordinairement, l’alcool aurait autant d’effet sur O’Reilly qu’une cuillère à thé d’eau sur un feu de forêt. Barry ne savait toujours pas si l’offre magnanime de l’homme, présentée au milieu de ce qui semblait la fête qui devait mettre un terme à toutes les fêtes, l’avait été à travers la voix de la Guinness, ou alors si O’Reilly était sérieux. Au début, quand il s’était réveillé, il avait pensé avoir rêvé à toute l’histoire; mais à présent, il se souvenait nettement qu’il avait juré, avant de poser sa tête sur l’oreiller, de rassembler son courage le matin venu pour demander à O’Reilly s’il le pensait vraiment.
Il savait qu’il pouvait laisser les choses telles quelles et attendre qu’O’Reilly répète son offre dans des circonstances plus professionnelles, mais au diable tout cela; c’était important. Barry regarda à l’autre bout de la table, puis droit dans les yeux d’O’Reilly.
— Fingal, dit-il en déposant sa tasse.
— Oui ?
— Vous étiez sérieux, n’est-ce pas, quand vous m’avez offert un assistanat d’un an, puis un partenariat dans votre cabinet ?
La tasse d’O’Reilly s’arrêta à mi-chemin de ses lèvres. La ligne de ses cheveux s’abaissa et froissa la peau sur son front. Une pâleur apparut sur le bout de son nez tordu. Barry tourna involontairement une épaule vers le gros homme, comme un duelliste au pistolet des temps anciens aurait pu le faire afin de présenter à son ennemi une plus petite cible. Le nez pâle était un signe assuré que les feux couvant sous la croûte d’O’Reilly étaient sur le point d’exploser en surface.
— Étais-je quoi ?
O’Reilly fit claquer sa tasse dans sa soucoupe.
— Étais-je quoi ? répéta-t-il.
Barry avala.
— Je voulais seulement dire...
— Sainte-Marie mère de Jésus-Christ Tout-Puissant, je sais ce que vous vouliez dire. Pourquoi diable penseriez-vous que je n’étais pas sérieux?
— Eh bien...
Barry s’efforça désespérément de trouver des mots diplomatiques et dit :
— Vous... enfin, nous avions pas mal bu.
- Et Harry "les bottes"...
- Qui ?
- Harry "les bottes" Hawthorne. On l'appelle ainsi parce que lorsqu'il était jeune marié, sa femme a dit a sa meilleure amie qu'il était tellement viril que quand il revenait des champs et qu'il la voulait, il ne prenait même pas le temps de retirer ses bottes.
Barry rit.
- J'ai lu que Napoléon était comme ça avec Joséphine.
- Peut-être Harry l'avait-il lu aussi. En tout cas, l'amie de sa femme l'a dit a son mari, qui l'a dit...
Barry opina de la tête. Il avait déjà expérimenté personnellement la vitesse a laquelle les nouvelles voyageaient dans le village de Ballybucklebo.