Il posa sa main sur le visage d’Artévos, passa doucement l’extrémité de ses doigts sur les paupières, le nez, la bouche de mon Père et murmura : « Le monde a besoin d’hommes comme toi, tu ne dois pas mourir, chef des Termes. Tant que tu resteras en vie, même si nous perdons mille batailles et tous nos guerriers, la Gaule restera en vie. Mais si tu meurs, et même si notre armée détruit Rome et conquiert le monde, la Gaule aura perdu. Ne meurs pas Artévos, nous avons besoin de toi comme rempart contre les forces du Mal ». Bercavorios retira sa main tremblante, se releva
et s’éloigna en direction de la porte, guidé par l’enfant. Artévos bondit sur ses pieds :
« Ne pars pas, réponds-moi : de quelles forces du Mal parles-tu ? »
Le vieillard aveugle s’arrêta sans se retourner. Sa voix n’était plus qu’un murmure sourd : « Elles sont partout Artévos, pas seulement dans la monstruosité qu’est César ; elles recouvrent la terre et les hommes plus sûrement que la nuit ; elles se cachent dans la fougue de notre jeune Roi, dans l’ambition de Kavix, au bout de ton glaive, dans ton cœur, dans mes faiblesses et au fond de nos temples. Si tu fermes les yeux, tu les verras. Laisse-moi partir maintenant Chef des termes, tu es
seul… Tu l’as toujours été. Et tu le sais ».
Le vieil homme et l’enfant sortirent. Nous étions seuls.
" Je suis Artévorus de la tribu des Termes, fils du chef Artévos et de la princesse Alya; je possède deux chevaux et j'ai vu mourir la Gaule.
Il ne reste plus grand-chose de notre tribu; la plupart des hommes sont morts à la guerre, la plupart des femmes et des enfants ont péri après Alésia; il ne reste plus que nous, une dizaine d'hommes en armes et deux chevaux affamés, fuyant toujours plus pronfondément dans les forêts d'Irlande.
Ce qui suit constitue le récit d'un rêve. Le rêve d'une Gaule libre et unie, le rêve de mon Père, Artévos, et de ce qui constituait tout un peuple: les Gaulois.
Ce rêve, comme tous les rêves, a eu un début et une fin. Comme à tous les rêves lui a succédé le réveil. Le plus douloureux des réveils.
Et pourtant il s'en est fallu de peu pour qu'il se réalise. De très peu.
Il s'en est fallu d'un homme. Vercingétorix.
Sans lui, la Gaule serait libre aujourd'hui, et le nom de mon Père inspirerait peur et respect jusqu'au bout du monde, jusqu'en Égypte, jusque chez les Scythes...
... Peut-être.
La mission d'Artévos équivalait à faire un tas de feuilles morts au milieu d'une tempête