Paul Baudenon

Rabouillètre

Mon refuge est mon silence,
Ce clos d'âme où nul ne paît.
Dégoût d'autrui? Non. Respect.
Que chacun coure sa chance!

Dans un monde en turbulence
Faux-semblant et double aspect
S'entremêlent. Est suspect
Même celui qui balance.

Quoi?... suivre un meneur de jeu,
Jeter flamme ou prendre feu
Et pour peu qu'on braille, braire?

Mon orgueil, et Dieu le sait
C'est que tout homme est mon frère
Qui médite et qui le sait.

Les oubliés

Ces oubliés n'ont pas de plaques,
Ni quai, ni boulevard ni rue.
Ils sont tombés dans les attaques
Ils sont nuls, et non avenue.

Ils avaient mal choisi les terres
Qu'ils devaient signer de leurs ongles
La mort est garce en ses critères!
Elle avait tant de volontaires
Et c'est tellement loin, les jungles;

Tellement loin pour qu'on y pense
En Europe, et guerre finie...
Restait-il même une vacance
Dans ce petit-bonheur-la-chance
De la gloire en toponymie?

C'est la loi de toute chapelle,
trop d'élus pour peu d'alvéoles.
Les premiers ont la place belle
Les derniers au pied de l'échelle
Lorgnent d'en bas les auréoles.

Vous arrivez trop tard mes frères!
Tout était pris sous les portiques
Par tant de héros titulaires,
Par tant de défunts honoraires;
Il vous restait les statistiques.

Les cinq bols.

Le premier bol est plein de rêve
Bois à longs traits ce prime jour
Quand l'aurore appelle la sève.

Le second bol est plein d'amour
Prends les cheveux d'Eve ravie
Et mets cette friche au labour.

Le troisième est philtre de vie
Lutte, mon gars! L'arpent est cher
Où le droit d'être s'édifie.

Le quatrième est plus amer
En lacets dont tu sais le nombre
Ta route plonge au val d'hiver.

Le cinquième bol est plein d'ombre
Porte au temple tes quinze sols
Pour passer le cap sans encombre
Car tout est dans les cinq bols.